lundi 26 janvier 2009

AQUAE-SEXTIUS: L'Isolement.....



Le 30 Septembre 1965, au matin, je me rendis à la gare SNCF de Gap pour prendre la micheline qui allait m'emmener à Briançon. Cette ville que nous avions tant de fois traversée du temps de la 'Dynastie Géorgienne' pour nous rendre à Montgenèvre. Quelque mois auparavant, je n'aurais pu imaginer que je viendrai ici pour occuper un poste de maître d'internat dans ce lycée exclusivement réservé aux enfants asthmatiques ou atteint de tuberculose.






Lycée D'Altitude:





Je descendis de la micheline en début d'après midi. L'air à plus de 1300 mètres d'altitude était déjà vif à cette époque de l'année. La gare située en contre bas de l'agglomération, je devais traverser une partie des faubourgs pour rejoindre le Lycée d'altitude qui se trouve en haut de la chaussée à une centaine de mètre des fortifications érigées par Vauban. Flanqué de deux grosses valises , je pris la direction du lycée que je pu rejoindre après une bonne demi heure de marche. La rentrée des classes avait lieu seulement le lendemain, mais il régnait déjà une ambiance fébrile. La plupart des pensionnaires venaient des quatre coins de l'hexagone et étaient accompagnés par leurs parents. Je pu non sans difficultés me frayer un chemin pour rejoindre le bureau du surveillant général où me fut remis les clefs du dortoir que je devais prendre en charge le soir même. Il s'agissait d'élèves des classes de première et de terminale. Ainsi j'allais devenir maître d'internat de jeunes qui pour certains ne devaient avoir tout au plus un ou deux ans de moins que moi. J'entrais ainsi dans le monde du travail par un univers qui m'était déjà familier. Dans mon blog de 'Dovigap65', un des rédacteurs 'Blaise04' décrit cette fonction de Pion que je m'apprêtais à mon tour d'accomplir. Dès vingt heure trente, comme du temps du Lycée Dominique Villars, je fis mettre en rang deux par deux mes jeunes pensionnaires les 'Panculs' comme nous les dénommions à Gap. Dans une montée silencieuse des étages on rejoignit notre dortoir d'affectation. Cela changeait radicalement du bahut que j'avais connu. Celui-ci, bien que les bâtiments fussent anciens, avait été modernisé. Le dortoir était fonctionnel, organisé en petites chambres de quatre lits, le cadre était agréable. C'était réconfortant pour ces adolescents qui allaient passer une année scolaire sans retourner dans leur famille. Je me retrouvais ainsi responsable de quarante jeunes âgés de seize à dix huit ans tous asthmatiques ou atteint de tuberculose. Aucune consigne sanitaire n'avait été donnée aux maîtres d'internat. Et j'ignorais totalement où se trouvait l'infirmerie en cas d'incident susceptibles d'intervenir dans le courant de la nuit. C'était le flou le plus complet. Mais à vrai dire en ces instants ce type de problème ne me vint pas à l'esprit. J'étais plus préoccupé à faire face à ces responsabilités nouvelles auxquelles je me trouvais confronté. Je prenais subitement conscience que je venais de franchir l'autre côté de la barrière. Ce premier contact avec mes pensionnaires se déroula dans d'excellentes conditions. Ils étaient sympathiques et ne cherchaient nullement à organiser le chahut comme certains cherchent à le faire. La maladie les rendaient peut être plus responsable, du moins c'est ce que je pensais en mon for intérieur. Une nuit alors que je dormais profondément, deux élèves vinrent frapper à la porte de ma chambre pour me prévenir que leur camarade de chambrée était en train de s'étouffer. Je m'habillais en vitesse pour rejoindre son chevet. Ce jeune garçon âgé tout au plus de seize ans présentait manifestement des troubles respiratoires préoccupants. Je ne savais pas qu'il n'avait plus de 'Ventoline' ce spray qui permet aux asthmatiques de soulager leur crise. Inquieté par son agitation respiratoire dont il était l'objet , je demandais à ses compagnons de chambrée où se trouvait l'infirmerie. En pleine nuit je me trouvais ainsi sans moyen de communiquer avec l'équipe médicale pour demander une aide et je ne disposais d'aucun plan me permettant de situer l'infirmerie. Personne dans le dortoir ne su me renseigner. Ne pouvant laisser l'élève dans cette situation dont l'état empirait, je pris la décision d'utiliser ma clef pour ouvrir la porte du dortoir et aller en pleine nuit rechercher l'infirmerie. Bien que la lumière était coupée, les blocs de secours diffusaient un éclairage suffisant pour se déplacer le long de ces couloirs interminables. Je pu toutefois trouver assez facilement , et quelques minutes plus tard l'infirmière se rendit au chevet de notre petit malade qui rapidement retrouva une respiration normale. Le lendemain je me rendis au bureau du surveillant général pour lui rendre compte de la situation à la quelle j'avais du faire face en pleine nuit. Il me remercia d'avoir pris cette initiative qui avait été salutaire pour notre jeune pensionnaire. Ainsi pensant avoir répondu à ma mission, je considérais cet incident classé. Il n'en fut rien, et dans les jours qui suivirent je fus convoqué par le Censeur. Je me souviens encore de ce triste personnage qui déambulait dans les couloirs avec une cravache en cuir et des bottes collant à ses mollets jusqu'aux genoux le faisant ressembler étrangement à certains officiers de la deuxième guerre mondiale. Il m'accusa d'abandon de poste mettant en danger la vie de quarante pensionnaires. C'était trop , je protestais devant de telles allégations qui étaient injustifiées. Je fis remarquer que la Direction du Lycée n'avait donné aucune instruction ou consigne à suivre pour faire face à des problèmes de santé d'un établissement accueillant des asthmatiques et des tuberculeux. Devant mes arguments le Censeur se fit moins incisif, car il savait que les maîtres d'internat étaient livrés à eux mêmes pour faire face à des situations qui pouvaient se révéler délicates dans un établissement de ce type. C'est en ces termes acerbes que notre entretien houleux pris fin.



Une lancinante problématique:


la mi-octobre marquait le début de mes cours en sciences économiques, il importait dès lors que je m'organise pour assister à certains et être en mesure de participer aux travaux dirigés qui étaient obligatoires. Dans cette perspective je me rendis à la gare pour me renseigner sur les horaires de trains se rendant à Aix en Provence. Les liaisons avec la cîté Phocéenne n'était pas quotidienne et de surcroît la micheline mettait plus de six heures pour atteindre l'ancienne capitale Provençale qui était tout au plus à 280 kilomètres . Ainsi ce bolide de la SNCF atteignait péniblement le 42 Km/heure pour rejoindre la ville de Mirabeau. Cette situation d'isolement mettait gravement en péril le déroulement de mes études. Autant je pouvais trouver des camarades du Lycée Dominique Villars à qui je pouvais demander un double des cours , autant je me trouvais bloqué pour participer aux travaux dirigés. Plusieurs collègues me proposèrent de m'inscrire sur Grenoble qui était plus proche, mais surtout assez bien desservi par les trains. Cette solution ne me satisfaisait pas car la 'Fac' de Grenoble était loin d'atteindre la notoriété d'Aix en Provence au niveau du Droit et des Sciences Économiques. Dans ce contexte, je ne disposais que d'une seule alternative. La première solution consistait à rester maître d'internat en essayant tant bien que mal de suivre les cours avec la certitude d'échouer à plusieurs reprises comme certains pions que j'avais connus à Gap. La deuxième solution consistait à travailler jusqu'en fin Novembre en économisant tout mon salaire et tenter de rattraper deux mois de retard pris en intégrant la cité provençale dès le début du mois de Décembre. C'est cette solution que je retenais, mais je devais impérativement ne rien dépenser en futilités de toute nature. C'était une condition 'sine-qua-non'.


Vicissitudes d'un Pionicat:


Ma décision prise, j'avais deux longs mois à passer dans cette ville qui a le privilège d'être la plus haute d'europe et dont la pureté de l'air avait permis le développement des sanatoriums. Mais j'avais hâte de suivre mes cours universitaires ceux que je croyais qu'ils me conduiraient sur la voie royale de la réussite. C'était là sous estimer la crise économique qui était en train de naître. Dans le courant du mois d'Octobre, deux collègues qui se rendaient à Marseille, me proposèrent de me déposer à Aix pour me reprendre en soirée pour le retour à Briançon . J'acceptais cette offre inespérée que je mis à profit pour rechercher la location d'une petite chambre d'étudiant. Mais déjà à cette époque de l'année aucune chambre d'étudiant était disponible dans Aix 'intra-muros'. Par ailleurs je ne pouvais prétendre à une chambre en cité universitaire. En allant consulter le fichier du CROUS à la cité des 'Gazelles' je pu trouver une chambre 'extra-muros' sur la route de Vauvenargues au lieu dit 'Pont de Béraud' . C'était assez loin pour se rendre à pied à la faculté, mais je n'avais pas le choix. La chambre était à l'arrière d'un domaine au sein d'un parc appartenant à un pharmacien du centre ville. L'entrée était indépendante, et je pouvais partager une salle de bain avec deux autres chambres louées également à des étudiants que je n'eus jamais l'occasion de rencontrer. Pour être sûr de prendre possession de cette chambre dès le mois de Décembre je du consentir un lourd sacrifice en acceptant de louer à vide le mois de Novembre. Ainsi deux cent cinquante francs s'évaporèrent pour m'assurer un point de chute à Aix en Provence. C'était le prix à payer.

Rentré en soirée à Briançon, il me restait à patienter encore six longues semaines qui me parurent interminables et pénibles. Par chance j'avais pu retrouver un ancien camarade de lycée un dénommé Christian P..... qui avait fait 'Math-élem' et qui se retrouvait avec moi dans ce lycée d'altitude.Excellent élément en gymnastique, il était venu à Briançon pour préparer le 'CREPS' afin d'embrasser la carrière d'enseignant. Notre professeur Paul Givaudan lui avait communiqué cette passion du sport. Alors qu'au lycée Dominique Villars on se connaissait de vue sans plus, le contexte briançonnais nous rapprocha et on se lia d'amitié. Ainsi on se confortait mutuellement le moral lorsque celui-ci n'était pas au beau fixe. C'est lui qui me prêta une grande valise pour quitter cet établissement afin de rejoindre Aix en Provence. Vers la mi Novembre alors que je me retrouvais de service du Dimanche , il régnait un temps hivernal. La neige tombait à gros flocons et un froid glacial était tombé sous la ville. Seul dans l'établissement j'avais sous ma responsabilité une cinquantaine d'internes , que pouvais-je faire pour les occuper un dimanche après midi qui devait être consacré à la promenade dominicale? Pour lutter contre le froid, un collégue m'avait prêté son manteau en fourrure. Christian était parti à Gap voir ses parents, mon moral était au plus bas. Pourtant il fallait lutter contre cette tristesse qui se faisait de plus en plus envahissante. Les élèves ne devaient pas être les spectateurs de mes états d'âme. A quatorze heures la colonne de mes 'Panculs' s'ébranla lentement pour rejoindre les bords de la ville. La neige tombait abondamment. La chaussée était déjà recouverte d'une cinquantaine de centimètres de neige. La circulation était bloquée et les chasses neiges n'étaient pas encore entrés en action pour dégager les axes routiers. L'isolement s'en trouvait renforcé , les bruits des pas étaient amortis sous la neige poudreuse qui avait envahi l'espace. Dans ce ciel bas je sentais les larmes me monter aux yeux. Mais il fallait tenir car mes pensionnaires avaient eux aussi mille raisons de se sentir tristes et loin des leurs. On descendit rapidement la chaussée pour rejoindre les abords de la gare et on longea une voie désaffectée pour aller se réfugier sous un hangar afin de se protéger de la neige qui tombait de plus en plus fort. Je mis à profit cette promenade pour chronométrer le temps qu'il fallait pour se rendre à la gare le jour de mon départ dont je n'étais plus séparé que de quinze jours. L'après midi se passa tant bien que mal. Certains firent des bonhommes de neige, d'autres se livrèrent à des batailles de boules de neige. Enfoncé sous le manteau en fourrure je les regardais jouer dans une sorte d'indifférence totale. Mon esprit était déjà ailleurs à vagabonder là bas en Provence, sur la route de Vauvenargues pour me rendre à mes cours d'économie politique.

La veille de mon départ, je rédigeais ma lettre de démission par laquelle je justifiais ma décision en raison de mon éloignement d'Aix en Provence. Ainsi le premier décembre 1965 vers quatorze heures je pris la grande valise de mon copain Christian et en passant devant le bureau du censeur: 'L'homme aux bottes de cuir' je déposais ma lettre dans sa boîte aux lettres.


Vers le chemin de la Liberté:


En ce début d'après midi je me retrouvais hors de l'enceinte du lycée , je me sentais à nouveau libre. J'eu une pensée pour Christian un ami que je quittais pour toujours. Le temps était gris, le ciel bas, il régnait un froid humide qui transperçait les os. J'avais hâte de rejoindre la gare pour m'y sentir en sécurité. J'avais peur que 'L'homme aux bottes de cuir' refuse ma démission et que je sois contraint à réintégrer mes fonctions. Après une demi heure de marche soutenue j'atteignais le hall de la gare, avec une certaine fébrilité je compostais mon billet et je m'engouffrais dans un des compartiments de la micheline aux trois quart vide de voyageurs. Quelques instants plus tard l'autorail s'ébranla lentement vers mon destin.
Vers dix neuf heure je descendis sur le quai d'Aix en provence, à cette heure je ressentais une faim qui me tenaillait le ventre. Avec une valise trop lourde à porter à pied jusqu'à Vauvenargues, je décidais de tout mettre en consigne à la gare pour me rendre à la cité des Gazelles y prendre un repas au restaurant universitaire. Dix minutes plus tard je rejoignais la longue file d'attente au 'RU' . Alors que j'attendais patiemment, j'entendis une voix qui m'interpellait. Je reconnu mon camarade de lycée : un certain Gérard Scholzen avec lequel nous avions fait du footing dans la rue Carnot de Gap un jour de départ des vacances de Pâques en Avril 1963. Ce soir là il m'invita à rejoindre son groupe dans lequel se trouvait une certaine 'Mireille B........'. C'était une soirée que je savourais avec délices. En cette soirée de début décembre je renouais avec La provence de mon enfance, ses platanes, ses odeurs d'automne. Toutes ces impressions qui m'envahissaient étaient aux antipodes des préoccupations de ce groupe avec lequel je partageais mon premier repas d'étudiant. Pour parachever la soirée, Gérard nous proposa de rejoindre le cours Mirabeau pour y prendre un café au Mazarin, ce bar qui est devenu aujourd'hui un restaurant pour touristes argentés.......

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