lundi 2 février 2009

AQUAE-SEXTIUS: A la rencontre du Destin....







En ce mois de Décembre 1965, je ne pouvais imaginer un seul instant que je me trouvais à la veille de bouleversements majeurs qui allaient marquer le début d'une longue odyssée. L'époque Tallardienne est définitivement révolue, les pérégrinations de 'Louis Le Magnifique' sont subitement reléguées au deuxième plan pour mettre l'accent sur les difficultés auxquelles je vais être directement confrontées. Inconsciement, je me préparais à répéter ce que j'avais moi même dénoncé quelques années auparavant.






Sur La route de Vauvenargues:






Vers vingt deux heures en ce soir du premier décembre 1965, nous étions cinq étudiants à prendre notre café au Mazarin. Briançon me paraissait déjà loin, et pourtant quelques heures seulement m'en séparait. Le lendemain certains d'entre nous avaient des cours dès huit heure du matin, il fallait donc rejoindre nos chambres respectives. La mienne était à plus d'une demi heure de marche et au préalable je devais récupérer mes bagages à la gare. Un camarade de Gérard alias 'Le Niçois' me proposa de me ramener avec sa vieille 'deudeuche'. C'était une véritable aubaine qui me permit de rejoindre Pont de Béraud le lieu dit,sur la route de Vauvenargues,où se trouvait ma chambre.


Je n'étais plus retourné en ce lieu depuis la mi octobre date à laquelle j'étais venu pour réserver. Je pénétrais dans la parc de la propriété qui était sombre , à cette heure les propriétaires devaient déjà dormir. Un silence oppressant régnait, à la lueur de la lune je me dirigeais vers les escaliers qui accédaient à une terrasse sur laquelle ma chambre donnait. J'ouvrais la lourde porte, enfin je pénétrais dans mon refuge. L'air était figé immobile, je réalisais avec difficultés que je me trouvais enfin à Aix pour y poursuivre ces études en sciences économiques auxquelles je m'étais inscrit le 30 septembre dernier. Trop fatigué pour vider ma valise et ranger mes affaires, je la laissai ouverte sur le bureau pour me glisser dans les draps glacés du lit.

Réveillé de bonne heure, je mis à profit ce temps pour ranger mes affaires. Ne disposant pas de réchaud pour me préparer un petit déjeuner, je partis 'le ventre creux' pour me rendre à la Faculté où mes cours commençaient dès huit heure. J'avais trois quart d'heure de marche pour m'y rendre. Ces derniers se déroulaient dans l'amphithéâtre qui se trouve de l'autre côté de la ligne de chemin de fer: 'L'antichambre de la Faculté' comme aimaient à dire nos professeurs de première année. En cette heure matinale, je me trouvais sur la route de Vauvenargues que je franchissais d'un pas rapide. Quelques minutes plus tard j'atteignais l'avenue Fontenaille, dépassait le cours des Arts et métiers pour déboucher sur les cours extérieurs entourant la ville 'intramuros'. J'étais à cette hauteur à mi chemin. Empruntant la rue Portalis je rejoignais le cours Mirabeau pour me diriger vers l'avenue du Roi René , il était 7h45 lorsque je traversais le cours. Je disposais alors d'un petit quart d'heure pour remonter l'avenue Jules Ferry qui longe à cette hauteur le parc Jourdan. A cette heure matinale les senteurs des résineux exhalaient encore ce parfum si typique des forêts provençales. Mon estomac se contractait, j'avais faim. Mais il était hors de question que je puisse m'offrir un café avec un croissant, mes contraintes budgétaires ne me le permettaient pas. Je devais me limiter à prendre deux repas par jour. Par précaution, je m'astreignais en début de chaque mois à acheter mes tickets de 'RU' pour éviter toutes surprises désagréables. Un tel régime me fit perdre plusieurs kilos en juin 1966 je ne dépassais pas 56 kilos. J'appris ultérieurement que certains de mes camarades me surnommaient 'Le Cadavre'.

C'était pour moi le grand jour, il marquait mon arrivée effective à l'Université. J'étais impressionné par tous ces étudiants qui affluaient vers cet 'amphi' dont la capacité permettait d'accueillir plus de huit cent étudiants. Sur les six cent que nous étions , une centaine tout au plus franchiraient la ligne de chemin de fer pour pénétrer dans le sanctuaire en Octobre 1966. Mais, en cet instant c'était un moment de joie intense, la journée était magnifique, le soleil resplendissait de tous ses feux. J'avais l'impression de me retrouver au printemps. Mais ici tout le monde trouvait cela normal. Ne connaissant personne dans cette multitude, je me sentais un peu dépaysé. Alors que je m'apprêtais à prendre place , je reconnu un ancien de Dominique Villars un certain Ricard originaire de Gap. C'est avec lui et un dénommé 'Presbois' alias 'Boibois', originaire d'Arles, que j'allais jusqu'en Juin 1966 suivre mes cours.

En ce début de Décembre, une fois l'euphorie passée, je mesurais l'étendue du retard pris. Plus de cent soixante heures de cours à rattraper, c'était énorme à combler , car il s'agissait des introduction aux différentes disciplines que nous devions apprendre. Mes deux camarades me communiquèrent volontiers leurs notes de cours. Mais outre la difficulté à les déchiffrer , chacun à sa manière de prendre des notes ce qui ne faisait que renforcer la difficulté pour combler mes lacunes. Le seul point où je me trouvais à niveau concernait ces fameux 'Travaux dirigés' qui n'avaient commencés qu'à la mi novembre.

Dès la fin des cours qui pour la plupart se déroulaient en matinée de huit heure à midi, j'avais hâte d'aller déjeuner au 'RU' pour me sustenter et apaiser ma faim. Mais de cela je n'en parlais à personne. Souvent j'allais rendre visite à Gérard à sa chambre qu'il avait à la cité des Gazelles. C'est ainsi qu'il me proposa de suivre comme lui les cours de sciences politiques qui se déroulaient rue Gaston Saporta, le siège de l'ancienne faculté de Droit fondée en 1409. J'acceptais cette proposition qui me paraissait pertinente. Les cours se déroulaient souvent vers dix sept heure. Mais rapidement, je réalisais que certains étaient coordonnés avec les cours des juristes. Etant en 'Sciences Eco' il me fut difficile d'assister à certains cours qui se superposaient aux miens. En regard du retard que j'avais accumulé je dus renoncer.

Le mois de décembre avançait à grand pas et la plupart des soirées je les passais avec Gérard, Le niçois 'l'homme à la deudeuche' et un autre camarade qui était également un ancien de Dominique Villars mais dont je ne me souviens plus du nom. Nous allions ainsi au Mazarin jouer une partie de belote pour achever la journée. Vers vingt deux heures, 'Le Niçois' me déposait à Pont de Béraud m'évitant une longue marche dans la nuit. Me retrouvant dans ma chambre j'aurais pu entreprendre de rattraper mon retard, mais je sentais la tristesse m'envahir et je n'avais plus le coeur à l'ouvrage. Le retard s'accumulait dangereusement.

Un soir, alors que nous nous retrouvions à jouer notre traditionnelle partie de belote, Gérard me proposa de l'accompagner pour rendre visite à 'Mireille B.......' celle que j'avais croisée le soir de mon arrivée de Briançon. C'était une étudiante inscrite aux Beaux Arts et qui s'était trouvée avec nous au 'RU' des Gazelles. N'étant pas pressé de rejoindre ma chambre de l'autre côté de la ville, j'acceptais cette invitation.


Une nuit chez Shéhérazade:


On quitta le Mazarin pour se diriger vers la vieille ville, le coeur historique d'Aix en Provence. Arrivés à hauteur de l'hôtel de ville on passa sous son beffroi pour tourner sur la gauche et accéder à la place des cardeurs. A l'époque la place n'avait pas encore les aménagements dont elle bénéficie aujourd'hui. C'était une vaste aire goudronnée qui faisait office de parking. Peu éclairée la place n'incitait pas à l'emprunter. Mireille occupait une petite chambre dans un immeuble qui se trouvait à côté gauche de la place se situant dans le prolongement de la mairie. Lorsque Gérard sonna , il devait être onze heure de soir. A cette heure je pensais qu'elle pouvait dormir. Pourtant la porte s'ouvrit, on accéda à un escalier étroit et sombre. Silencieusement on gravit les quelques marches qui nous séparaient de sa porte d'entrée. Mireille était là qui l'attendait. C'était une pièce sans fenêtre toute en longueur. Au fond le propriétaire avait aménagé dans la cloison une baie vitrée qui diffusait dans la journée une lueur blafarde. Au pied de cette cloison, elle avait installé son lit qui était constitué d'un simple matelas jeté à même le sol.

Elle avait éclairé la pièce d'une multitude bougies qui dégageaient une ambiance rappelant quelque part celle du 'Grand Meaulne' ce célèbre roman d'Alain Fournier. Pour tout confort le propriétaire lui consentait d'utiliser une salle de bain et les toilettes auxquelles on accédait par une coursive étroite à l'autre extrémité de la 'chambre'. Ne disposant d 'aucun mobilier on s'installa tous les trois à même le sol. Gérard semblait contrarié, que se passait il donc j'étais un peu surpris par son attitude devenue subitement agressive. Regrettait il subitement ma présence qu'il avait pourtant sollicitée ? Je ne comprenais pas.
Pour mettre fin à cet état de tension, il déclara avoir sommeil, il s'allongea sur le matelas et s'endormit dans les minutes qui suivirent. Ainsi je me retrouvais dans cette chambre avec une fille que je connaissais à peine depuis quelques minutes. Pour mettre fin à cette situation quelque peu insolite et étrange, Mireille voulu que je lui parle un peu de moi. Ainsi commença la nuit de 'Shéhérazade' .
Je lui décrivais alors 'Les Sweets fifties years' days', le tramway qui fonçait sur le cours Lieutaud en direction de la Capelette au début des années cinquante. Mon entrevue que j'avais eu avec Maman en juillet dernier et que je n'avais plus revue depuis son départ de ND du Laus en Juillet 1956. Mon séjour à Gap que j'intitule 'L'été Gapençais'. Pour achever ma narration, je lui décrivis mon épopée Briançonnaise qui me plaçait dans un état d'isolement complet compromettant le bon déroulement de mes études. Cette situation expliquait mon arrivée à Aix en ce début Décembre 1965 avec une petite chambre du côté du Pont de Béraud.
Alors que Gérard dormait toujours comme un ‘sonneur’, Mireille entreprit à son tour de me faire part de son parcours qui l’avait amenée jusqu’ici au cœur de la Provence. J’apprenais qu’à l’âge de quatorze ans, alors que sa sœur ainée était interne dans un collège d’Auvergne, elle avait accompagné l’amant de sa mère pour ramener sa sœur à Glay où elles demeuraient. Ma future belle mère y exerçait le dur métier de Directrice d’école dans ce hameau situé à une dizaine de kilomètres de L’Arbresle au nord de Lyon traversée par la N7. Au retour Mireille s’était installée à l’avant de la voiture. La route était déserte me dit elle, au moment où se produisit l’accident. Le véhicule se trouvait sur une ligne droite et alla percuter le seul arbre qui se trouvait au milieu d’un champ. Le conducteur s’était il endormi ? Personne ne le su jamais. Le choc fut terrible, Mireille eu une fracture crânienne qui porta gravement atteinte au nerf optique qui se trouva coincé par les os du front qui fut défoncé sous la violence du choc, avec des pertes de substances. Mireille sombra dans un coma profond qui perdura pendant plusieurs semaines.
La nuit touchait à sa fin et l’aurore commençait à se lever, notre dormeur était toujours plongé dans les bras de Morphée. Il fallait songer à partir pour rejoindre la faculté où mes cours commencaient dès huit heure. Je me décidais à réveiller Gérard. Mireille nous prépara un café, c’était la première fois que je prenais une collation chaude depuis mon arrivée à Aix en Provence. Alors que nous nous apprêtions à quitter sa chambre, Mireille voulu nous raccompagner jusqu’au Cours Mirabeau. Alors que Gérard marchait d’un grand pas devant nous, elle me demanda à voie basse de revenir la voir en soirée. Une longue histoire allait alors commencer.
Place des Cardeurs :

Cette matinée de décembre était subitement devenue différente, j’avais du mal à me concentrer pour suivre mes cours. Mon esprit vagabondait dans les petites rues de la cité médiévale. Un sentiment étrange était en train de m’envahir insidieusement. Ce n’était pas de l’engouement ni de la joie. Je ressentais un sentiment analogue à celui que j’avais ressenti voilà plusieurs années sur l’étang gelé au pied de Curbans en face de la Saulce durant l’hiver 1957 avec Ellico. Cet état exerçait une sorte d’appel irrésistible qui me déstabilisait complètement et contre lequel je ne pouvais lutter. Subitement tout ce retard accumulé était relégué au deuxième plan. Je ne pensais plus qu’à ce rendez vous avec Mireille. Je déjeunais en toute hâte au ‘RU’ des Gazelles, et je décidais exceptionnellement de retourner en après midi à Pont de Béraud pour y faire ma toilette et changer de vêtements. L’après midi n’en finissait pas de trainer en longueur, et je n’avais pas le courage de m’atteler à prendre des notes sur les cours que mes camarades avaient consentis si gentiment de me confier afin de combler mon retard. La soirée commençait à tomber lorsque je rejoignis ‘Les Gazelles’ pour y prendre mon repas du soir. Je fis en sorte d’arriver à l’ouverture du ‘RU’ pour éviter toute rencontre avec Gérard et ‘Le Niçois’ afin d’esquiver toute explication pour justifier mon absence à la traditionnelle partie de belote du soir au Mazarin. Dès dix neuf heures trente je m’élançais sur le boulevard Jules Ferry. Une demi-heure plus tard j’atteignis la place des Cardeurs. Mireille, comme la veille au soir, avait allumé toutes ses bougies. Cette féerie du grand Meaulnes exerça une nouvelle fois cette étrange fascination. Cette première nuit que nous allions partager, je ne savais pas qu’elle était le début d’une longue odyssée qui nous mena à fonder une famille qui se disloqua six ans plus tard dans l’enfer du macrocosme parisien.
Mireille avait été fragilisée par ce dramatique accident survenu quelques années auparavant ; de mon côté j’étais en proie à une profonde dépression dont je n’avais pas pris conscience. C’est dans ce contexte, que nous allions pourtant fonder cette relation étrange. Ainsi depuis ce rendez vous, quasi clandestin, je quittais chaque matin la place des Cardeurs pour me rendre à mes cours. Subitement l’écoulement du temps s’accélérait, les fêtes de Noël approchaient à grand pas. Et je désertais ma lointaine chambre de Pont de Béraud où j’avais pourtant toutes mes affaires.
Marc qui se trouvait en classe de première au Lycée Alphonse Daudet à Nîmes en tant qu’interne, devait rejoindre Tallard pour les vacances de Noël, n’ayant pu le voir l’été précédent je ressentis le besoin de venir le voir quelques jours. Je devais laisser Mireille seule dans cette chambre de la place des Cardeurs sans la possibilité de lui donner de mes nouvelles ou de prendre des siennes. L’époque des portables n’existait pas encore…..
Parti en stop, la veille de Noël, j’arrivais à Tallard en fin d’après midi. Marc était déjà arrivé depuis un ou deux jours. Je réintégrais ma chambre qui jouxtait la grande pièce où il dormait et qui avait constituée notre quartier général durant la durée de mes études secondaires. C’était la première nuit que je passais depuis les évènements qui s’étaient déroulés six mois auparavant. Mais je sentais que ce n’était plus comme avant. Quelque chose était irrémédiablement cassée. Je me sentais déjà un peu comme un étranger en ces lieux. Je fis part, à mon frère, de ma rencontre avec Mireille, mais je sentais une sorte de désapprobation. Durant mon bref séjour Tallardien, je ne vis que peu de temps ‘Louis Le Magnifique’ qui était pris par ses patients. Malgré l’hospitalité qui m’avait été faîte, je ressentais une certaine distance qui s’était instituée. Cette ambiance me facilita ma décision de quitter Tallard dès le lendemain de Noël pour rejoindre Mireille qui m’attendait toute seule dans cette chambre obscure du côté de l'hôtel de ville.
Le temps était gris et froid en cette période de fête et malgré les illuminations dont s’était dotée la ville, on se réfugia plusieurs jours dans cette chambre où la lueur du jour avait des difficultés à atteindre. Nous étions un peu comme dans un bateau ivre que l’on ne voulait plus quitter. Nous vivions hors du temps, pourtant il fallait à tout prix sortir de cette chambre, nous tonifier l’esprit. Un après midi j’arrivais à la persuader de nous promener un peu dans la ville. Ainsi on alla jusqu’à Pont de Béraud pour lui montrer ma chambre dans laquelle je n’avais plus dormi depuis une quinzaine de jours. Malgré son cadre agréable, je me sentais mal à l’aise dans cette chambre quasi luxueuse au regard de celle de Mireille. Mais la sienne, c’était la vie, ici je sentais une sensation étrange presque morbide. Dès le lendemain nous désertions ce lieu pour rejoindre ‘Les Cardeurs’ .

32 Rue Venel :

Dans les jours qui suivirent notre expédition à Pont de Béraud, on prit la décision de donner congé à nos propriétaires respectifs pour prendre possession d’une petite chambre au deuxième étage d’un immeuble situé 32 rue Venel .Le confort y était rudimentaire, nous ne disposions ni de chauffage ni de salle de bain, et il fallait rejoindre le rez de chaussée pour accéder aux toilettes. Nous disposions seulement d’un lit à une place, les propriétaires mettaient à notre disposition un petit bureau qui était au pied de la fenêtre. Un peu plus loin sur la droite du bureau se trouvait un évier en pierre de cassis qui constituait le seul point d’eau. En face de notre lit et dans le prolongement de l’évier une vieille armoire faisait office de penderie pour y ranger les quelques vêtements dont nous disposions. Nos vécurent ainsi, dans un complet dénuement durant tout ce premier semestre 1966. C’est ainsi que j’allais à la cité des Gazelles y prendre mes douches et utiliser le local faisant office de lingerie pour y repasser mes chemises avec le petit fer à repasser pliant que j’avais acheté à Briançon. Mireille avait cherché à agrémenter la pièce en achetant un petit aquarium où elle y plaça trois poissons rouges. Le premier fut baptisé ‘Mussolini’ en raison de son aspect sévère me disait elle, le deuxième fut dénommé ‘Gloppeur’ car il venait fréquemment à la surface de l’eau pour y aspirer de l’air. Quant au troisième son nom ne parvient pas à me revenir en mémoire. Ces poissons rouges constituaient son passe temps favori. C’est cette candeur, cette douceur de vie qui me touchait. Il y avait en elle quelque chose de Tennessee….Très rapidement Mireille abandonna ses cours des Beaux Arts où sa mère l’avait inscrite. Je voulu la motiver à poursuivre l’enseignement mais je compris que les cours de géométrie qui correspondait à un niveau de première constituaient un véritable Casus belli difficilement surmontable. De fait elle restait de longues heures seule dans cette chambre qui ne voyait jamais le soleil. Ne bénéficiant pas d’un réel statut d’étudiant, elle ne pouvait accéder au ‘RU’ ce qui constituait une contrainte supplémentaire dans cette ville universitaire. Ainsi, je quittais la chambre dès 7h30 pour me rendre à mes cours et je ne rentrais pas le soir avant 20h. Après mes cours, je préférais m’installer dans une salle d’étude de la cité des ‘Gazelles’ m’évitant de nombreux aller-retour à pied entre la rue Venel et la faculté. Dès que j’arrivais Mireille était heureuse de me retrouver, alors nous quittions cette chambre minuscule et nous allions souvent au cinéma sur le cours Mirabeau, parfois le week end après des heures de marches interminables dans les rues de la cité médiévale, nous allions à la Rotonde nous offrir une coupe de glace. Elle raffolait des ‘bananas split’ qu’elle dégustait avec délice.
En Mai alors que nous approchions de la période des examens Mireille m’annonça qu’elle était enceinte. Que fallait-il faire ? Mon camarade ‘Boibois’ me suggéra de procéder à un avortement. C’était la solution qui éviterait à terme une séparation inéluctable en raison des différences sociales qui nous séparaient me déclara-t-il. Du côté de ‘Louis Le Magnifique’ une telle solution lui serait parue irrecevable en raison de ses convictions. Dans ce contexte je décidais d’assumer la situation pour donner une famille à l’enfant qui naquît le 11 Février 1967. Bien que les différences sociales fussent effectives, je pensais que le temps les atténuerait. Ainsi sans le savoir je mettais en place les éléments de la répétition. Ce processus que j’avais dénoncé, je le réitérais à mon tour.
La période d’examen arrivait à grand pas, il était indispensable que je me mette sérieusement à réviser pour combler le retard que j’avais pris durant tout le premier trimestre de l’année universitaire 1965-66. J’allais ainsi durant plus de trois semaines réviser intensément avec Gérard à la cité des ‘Gazelles’. Nous travaillions plus de quinze heures par jour, au fur et à mesure que j’avançais dans mon travail, je prenais espoir de réussir mes examens de première année à cette session de Juin. Malgré un travail acharné, ce fut un échec m’obligeant à me présenter à la session d’automne. C’est dans cette optique que je rejoignis Tallard pour travailler tout l’été et combler les lacunes que j’avais accumulées tout au long de l’année. On donna notre congé au propriétaire du 32 rue Venel , Mireille rejoignit Glay près de l’Arbresle là où sa mère était Directrice d’école primaire. Nous quittions définitivement ce quartier du vieil Aix que nous avions arpenté tant de fois, ce n’est qu’au Printemps 2005 que je foulais à nouveau le macadam de la rue Venel. Rien n’avait changé ou presque. Seuls les tags sont venus envahir les façades des immeubles de cette petite rue qui est parallèle à la rue Saporta, celle qui mène à Sciences Politiques. Mais près de quarante ans s’étaient écoulés dans l’abîme du temps.
Sous la vigilance de Ceüse :

En ce début d’été 1966, je me retrouvais à Tallard d’où j’avais été chassé un an plus tôt. Ainsi je réoccupais mon ancienne chambre d’où l’on peut admirer le dôme majestueux de Ceüse. Rien n’avait été changé de tous les aménagements que j’avais pu effectuer lors de l’époque lycéenne, et je reprenais possession de la grande pièce, ce territoire que j’avais partagé avec ‘Muad’dib’ au cours de mes études secondaires et qui constitua durant sept ans notre quartier général : Le G.Q .G comme nous le dénommions.
J’installai la table Louis XV entre les deux fenêtres afin de me placer en dehors du passage et ne pas être dérangé par les différentes allées et venues des uns et des autres. Je retrouvais ainsi des conditions optimales de travail où durant plus de deux mois et demi j’allais travailler douze à quinze heures par jour pour combler enfin le retard que j’avais accumulé du temps de mon pionicat Briançonnais.
‘Muad’dib’ venait d’achever sa première pour entrer à son tour en Sciences Expérimentales au Lycée Alphonse Daudet de Nîmes qui était dirigé par Le Proviseur Guilles. Ce proviseur qui fut également celui du Lycée Dominique Villars de Gap lorsque j’avais passé mon concours d’entrée en sixième. C’est Monsieur Guilles qui avait accepté de l’inscrire en seconde lorsqu’il quitta Rennes en Juillet 1964 et qui lui trouva un correspondant. En tant qu’interne le correspondant permettait à l’élève de sortir du lycée lors des weeks end et du jeudi après midi.
Mon frère avait noué une idylle avec la fille de son correspondant, une dénommée Yolande, qu’il avait fait venir à Tallard lors de cet été 1966. L’ambiance délétère qui avait prévalue l’année précédente avait disparue pour donner placer à la gaité d’antan, celle qui prévalait lorsque nous allions aux Maurettes près de Nice. Mais cet été était celui de la rigueur du travail pour tenter de réussir ma première année de fac. Les jours et les semaines s’écoulèrent à vive allure, mais je progressais de façon satisfaisante, me laissant espérer une réussite à la session de rattrapage d’automne.
Vers la mi septembre Mireille me rejoignit à Tallard comme il en avait été convenu. Il importait que nous puissions rechercher un petit appartement pour aborder la nouvelle année universitaire d’une part, et organiser une rencontre entre ma future belle mère et ‘Louis Le Magnifique ‘ d’autre part. Dans les premiers jours de septembre, ayant pris un peu d’avance sur mon programme de révision, je décidais de prendre quelques jours de repos qui fut mis à profit par mon père qui me sollicita pour repeindre la chambre de l’employée de maison qui avait besoin d’un rafraichissement.
La mère de Mireille arriva à Tallard alors que je me trouvais en plein travaux de peinture, c’est dans ces conditions qu’un entretien se déroula dans la salle à manger du 12 rue Souveraine entre ‘Louis le Magnifique’, et ma future belle mère. Nathela et Mireille participèrent également à la réunion. Bien que je fus convié à assister à la discussion je déclinais la proposition de ma future belle mère pour lui permettre d’aborder librement les conditions du contrat de mariage préservant les intérêts de Mireille qui devait percevoir un important capital la dédommageant du terrible accident qu’elle avait subi quelques années auparavant.
La franchise de ma belle mère se révéla être une grave erreur qui se retourna contre Mireille et moi-même. Dans les jours qui suivirent, Nathela changea radicalement d’attitude en exigeant de Mireille qu’elle participe aux tâches de la vie quotidienne alors que rien n’était demandé aux autres. Elle devait aider l’employée de maison qui ne pouvait faire face à la situation, c’est ainsi qu’elle due dresser la table. Ne connaissant pas les habitudes de la maison elle utilisa la vaisselle ‘Moustier’ qui ne se mettait qu’aux grandes occasions. Erreur fatale qui lui valu les foudres cyniques de ‘Louis Le Magnifique’. C’était outrageant, Mireille était livide et ne savait que répondre devant les propos blessants qu’il tenait à son encontre, sans prononcer un mot je me levais de table pour procéder au changement des assiettes. Le repas s’effectua au simple bruit des couteaux et fourchettes. Dès le lendemain je signifiai à mon père notre départ de Tallard. C’est dans ces circonstances qu’il m’avisait me supprimer toute aide pour le financement de mes études car il n’entendait pas selon ses propos contribuer aux besoins de mon ménage. De telles allégations me glacèrent d’effroi car pas un seul instant j’avais eu la pensée qu’il puisse contribuer à l’entretien de Mireille. En fait la sincérité de ma belle mère concernant l’indemnisation de sa fille constitua le prétexte à ‘Louis Le Magnifique’ pour échapper à ses obligations. L’amnésie venait subitement le frapper car il oubliait trop facilement les sacrifices que consentit ‘L’Entreprenant’, son père, qui finança ses études de médecine de 1938 à 1945.
Subitement je retrouvais l’esprit qui avait présidé un an auparavant…….
Du côté de la Rotonde :

Par une belle matinée d’automne on quitta dans la précipitation Tallard où l’ambiance était à nouveau devenue irrespirable. Désargentés on du recourir une nouvelle fois à l’auto stop pour rejoindre la capitale Provençale. Dès notre arrivée on se mit à la recherche d’un logement que l’on pu trouver rapidement sur le boulevard de la république non loin du Cours Sextius.
Dans les jours qui suivirent, je me rendis à la Faculté pour y passer mes épreuves de rattrapage. Les sujets qui nous avaient été posés ne posaient pas en soi de difficulté particulière, mais je ne parvenais pas à mesurer si mes réponses étaient suffisantes pour être admissible. Les résultats nous furent communiqués à la fin du mois. J’échouais de quelques points seulement me mettant dans l’obligation de redoubler cette première année.
Sur les quelques six cent inscrits que nous étions, seulement cent vingt d’entre nous franchirent le pont métallique surplombant la voie de chemin de fer pour entrer dans l’enceinte même de la Faculté. Le sanctuaire comme nous le dénommions.
Je devais ainsi rester une année supplémentaire dans l’antichambre pour réussir le passage en deuxième année. Il fallait se résigner à redoubler et mettre à profit ce temps pour repartir sur des bases solides.
Parallèlement une nouvelle vie se mettait en place, la grossesse de Mireille se déroulait normalement mais elle éprouvait une certaine aversion sur son état de femme enceinte. Cette réaction de sa part me surpris, et j’en éprouvais de la culpabilité. Que fallait-il faire. Il était maintenant trop tard pour procéder à un avortement. Cette situation marqua le début des difficultés auxquelles nous allions bientôt être confrontés.
Dans le courant du mois d’Octobre Mireille reçu la signification du jugement lui octroyant un capital important qui l’indemnisait de cet accident qu’elle avait eu à l’âge de quatorze ans et qui la pénalisait lourdement. Sur les conseils avisés de ‘Tati’ on prit rendez vous avec Pierre Caviggia le fils ainé de ‘Riquet’ qui était devenu son mari. ‘Riquet’ ce monsieur qui venait nous rendre visite lorsque minot je me rendais à la calanque de Mugel au début des années cinquante. L’homme de ‘La villa des Roses’. Pierre était notaire à Aix en Provence, il avait la charge d’une des plus grandes études de la ville. Placée sur la place des Prêcheurs, on se rendit en son étude pour placer son capital sur le marché hypothécaire dont le rendement net après impôts lui procurait un revenu de 300 € par mois. Ce qui pourrait représenter en monnaie constante 1500 € d’aujourd’hui. Ce fut également Pierre qui rédigea le contrat de mariage. Dès lors Mireille qui atteignait son cinquième mois de grossesse, il importait de fixer la date de notre mariage qui fut fixé au 8 Décembre 1966. En raison des convictions de son père qui était athée, le mariage eu lieu seulement à l’Hôtel de ville. Cette mairie dont la charge revient à ma camarade de faculté quelques 37 ans plus tard lors des élections municipales de 2002. Une certaine Maryse Joissains-Masini. La cérémonie fut célébrée dans la plus stricte intimité. Assistèrent seulement : Ma Belle mère, son ex mari Alfred B…….. , ‘Louis Le Magnifique’,’Nathela’ de la troisième dynastie et nos deux témoins qui étaient des camarades de faculté que j’avais connu lors de l’année universitaire 1965-66. Huit personnes constituèrent ce cortège nuptial quelque peu anachronique. En raison des circonstances, Mireille et moi-même ne tenions pas à ce que l’évènement soit marqué par quelque chose après le passage en mairie. Pour excuser son retard en Mairie, ‘Louis Le Magnifique’ voulu nous inviter dans l’un de ces grands restaurants qui se trouvent à la Rotonde. On se retrouva malgré nous dans ce restaurant à marquer cette noce un peu particulière. Lors du déjeuner les convives s’organisèrent en deux groupes : Les parents d’un côté et les jeunes de l’autre. Peu d’échanges eurent lieu tout au cours du repas. Chaque groupe feignant d’ignorer l’autre. La fin du repas fut reçue de part et d’autre avec un certain soulagement où chacun pouvait reprendre sa liberté. Alfred B…….. pris son train pour rejoindre Nîmes, ma belle Mère Simone S… rejoignit l’Arbresle dans le Rhône. Quant à ‘Louis Le Magnifique’ et Nathela, ils prirent la fuite en direction de Marseille pour passer la soirée avec Irène la fille cadette de la troisième dynastie. Mes camarades gênés nous donnèrent congé pour rejoindre leur chambre en cité ‘U’ pour se remettre au travail. Ainsi en cet après midi du 8 Décembre 1966 sous un soleil timide, nous nous retrouvions tous les deux sur le cours Mirabeau comme si rien ne s’était passé. On ressenti un vide, un isolement et sans rien dire on entra chez nous.
La vie reprenait son cours, à présent mariés, l’enfant pouvait naître au sein d’une véritable famille. La répétition venait de se constituer. Comme mon père j’avais voulu assumer mes responsabilités en me mariant avec Mireille. Donner un cadre légal à l’enfant qui devait bientôt naître. La seule différence qui nous séparait était la nature de ce mariage qui était seulement civil. ‘La dynastie Phocéenne’ avait était constituée devant Dieu en la paroisse St Pierre St Paul vingt deux ans auparavant. En quelque sorte je répétais en fondant seulement ‘une république’. Mais les processus se rejoignaient.
Ce mariage laïc était en fait la conséquence d’une admiration que portait Mireille à l’égard de son père. Mon beau père avait été Député communiste lors de la première législature de la quatrième république. Souvent elle évoquait cette période où son père fit parti de la commission d’enquête sur la Ruhr en Allemagne Fédérale. La dite commission avait eu pour mission de démontrer que les bombardements alliés qui frappèrent l’Allemagne nazie épargnèrent miraculeusement l’appareil industriel qui était composé en grande partie de capitaux anglo-saxons. Cette complaisance coupable des alliés me disait-elle fut dénoncée par les députés communistes qui représentaient à l’époque près de 25% du corps électoral. Ainsi les alliés en voulant préserver leurs propres biens investis en Allemagne permis à Hitler de poursuivre la guerre et de mener presque à terme l’holocauste dans les camps de la mort.
De fait les communistes dénoncèrent ce vieil adage ‘L’argent n’a pas d’odeur’. Ainsi on peut mieux comprendre le récit d’Albert Speer auteur de l’ouvrage ‘Au cœur du troisième Reich’. Lequel déclare à la fin des années soixante, lors de sa libération : L’industrie allemande fonctionnait encore en Mai 1945 à 95% de ses capacités. Je comprenais cette fierté qu’elle témoignait à son père qui eu ce rôle historique à jouer et dénoncer cette hypocrisie politique dont nos chers politiciens sont si friands. Mais cette audace, son père dû la payer chèrement lors de la perte de son mandat qui ne fut pas renouvelé lors des élections générales qui eurent lieu vers 1946 -47. Ainsi l’administration française l’empêcha d’exercer ses fonctions d’instituteur pendant plusieurs années, l’obligeant ainsi à vendre l’Humanité, ce grand quotidien de l’époque, pour survivre.
C’est sur cette réflexion que s’acheva cette journée du huit Décembre 1966. Le lendemain je reprenais le chemin de la faculté
Du boulevard COQ à Sainte EUTROPE:

Décembre avançait à grand pas et nous nous rapprochions des fêtes de Noël, l’arrière saison était douce. La ville revêtait ses allures de fêtes, et nous flânions fréquemment devant les vitrines illuminées des boutiques du vieil Aix. C’était notre part de rêve. Un soir alors que nous étions allés rue Paul Bert, du côté de l’Hôtel de ville, on entra dans une boutique pour y acheter quelques décorations pour notre premier sapin de Noël. On acheta trois anges confectionnés dans du tulle, que je conserve encore aujourd’hui quarante trois ans plus tard.
Subitement le temps se dégrada et les premiers frimas de l’hiver firent leurs apparitions. On voulu mettre notre chauffage central en route mais ce dernier étant vétuste nous ne parvenions pas à réchauffer cet appartement humide situé en rez de chaussée du boulevard de la République. Ne pouvant nous exposer à des dépenses excessives en fuel on donna congé à notre bailleur et l’on prit une location d’un studio dans un nouvel immeuble qui venait d’être construit boulevard Coq.
Deux mois plus tard, le 11 Février Carine naissait sous le signe du Verseau. Ma belle mère était venue de Glay pour l’accouchement de Mireille qui se déroula au CHG de l’avenue Henri Pontier. Notre petite famille s’agrandissait rendant notre studio trop exigu. Sans ressources, je sollicitais les services sociaux du Centre Régional des Œuvres Universitaires et Sociales : Le CROUS, pour tenter d’obtenir un logement pour étudiants en HLM. C’est ainsi qu’il nous fut accordé un trois pièces à la cité Sainte Eutrope qui se situe au bout de l’avenue Jules Isaac qui rejoint les boulevards de ceinture de la ville à hauteur de la route des Alpes. C’était loin de la Faculté, mais nous disposions d’un logement qui nous permettait d’avoir deux chambres avec le confort d’une cuisine et d’une salle de bains dont nous étions privés depuis de nombreux mois.
Lors de notre rencontre avec l’assistante sociale il fut évoqué la possibilité d’intenter une action en justice à l’encontre de ‘Louis Le Magnifique’ qui ne voulait pas financer mes études me privant, De facto, de toute bourse d’étude. Devant les conséquences d’une telle procédure qui au demeurant aurait été couronnée de succès je renonçais à le citer en justice. Moralement je ne m’en sentais pas le courage, Mireille fut déçue par mon attitude qu’elle considérait trop conciliante. Je savais quant au fond qu’elle avait raison, mais par loyauté, ‘Louis Le Magnifique’ restait ce grand praticien avec lequel j’avais pris tant plaisir à dialoguer que je ne parvenais pas à me résoudre à cette éventualité. Devant ce terrible dilemme qui avait tort ou raison ? Aujourd’hui encore je ne sais répondre à cette question.
Au terme du séjour en maternité, on s’installa dans cet appartement qui était entièrement meublé par le CROUS, nous n’avions qu’à ranger nos effets personnels dans les meubles mis à notre disposition. Pour nous chauffer, nous disposions d’une petite chaudière individuelle au charbon qui se trouvait dans un renfoncement à gauche de la porte d’entrée. Les jours qui avaient précédés notre emménagement j’étais venu en reconnaissance et j’avais constaté que les occupants, nous ayant précédés, avaient laissé dans la cave suffisamment de charbon pour terminer le reste de l’hiver. C’est donc sans soucis que nous installions Carine dans sa chambre de bébé qui était séparée de la notre par la salle de bain.
Cette mise en route de la chaudière évoquait tant de souvenirs. Ceux de la rue Thiers où avec ma grand-mère, au début des années cinquante, nous allions passer commande du charbon à deux ou trois barres selon la qualité que nous voulions avoir. Mais aussi l’époque de Tallard où le Dimanche matin, dès sept heures, j’avais la mission de réapprovisionner la soute de la chaudière en anthracite afin d’éviter un redémarrage laborieux et un gel des radiateurs.
C’est sans soucis que je me rendis à la cave pour y remplir le seau à charbon et y prendre quelques morceaux de bois pour la mise en route. Si le charbon se trouvait en abondance, autant il n’y avait pas un seul morceau de bois ou brindille pour faire démarrer cette foutue chaudière. La nuit commençait à tomber, et où trouver à cette heure un marchand de bois. Il était indispensable que je m’en procure pour enflammer les boulets de charbon. Je sortis pour aller sur l’arrière de l’immeuble qui se trouvait en lisière d’une haie d’arbres. Je pus glaner ici et là, quelques brindilles et morceaux de planches pouvant rendre l’opération réalisable.
Je pris ma pile de journaux ‘Le Monde’ que je brulais un à un pour faire monter au maximum la température, puis progressivement je mettais les brindilles suivies des quelques planches que j’avais pu récupérer. Je parvins peu à peu à constituer des braises qui permirent d’enflammer les boulets que je déposais un à un et auxquels je rajoutais de la sciure de charbon comme le faisait ma grand-mère le soir pour préparer la combustion de nuit de sa cuisinière qui chauffait la véranda du 13 rue Adolphe Thiers.
Une heure plus tard l’opération était réussie, je pus charger abondamment la chaudière en boulets qui ne tarda pas à diffuser une douce chaleur dans tout l’appartement.
Dès le lendemain de notre installation Mireille acheta une machine à laver pour faciliter le lavage des couches de Carine. C’était l’époque héroïque où les couches jetables n’existaient pas encore. Puis on se rendit à la Rotonde pour y acheter une mobylette d’occasion chez un marchand de cycles qui exerce encore aujourd’hui. Ce fut notre premier moyen de locomotion qui nous permis de nous rapprocher en temps du centre ville et de la Faculté. Nos interminables déplacements ‘pédibus jambis’ prirent fin, nous redonnant une certaine mobilité.
Grace à cette mobylette, je pouvais rejoindre la faculté en moins de dix minutes me permettant de gagner plus de trois quart d’heure dès les premières heures de la journée. Ce temps gagné était inestimable. En outre je pus obtenir auprès du ‘RU’ d’emporter les repas à la maison évitant à Mireille de se rendre à pied à la cité ‘Des Gazelles’ ou des ‘Fenouillères’ représentant des heures de marches inutiles et fatigantes. Les rations qui nous étaient données permettaient de faire face aux deux repas de la journée ce qui nous permis, également, de faire des économies budgétaires conséquentes. Mireille pouvait par quelques additifs améliorer nos repas que j’allais chercher aux ‘Fenouillères’. Le porte plats sur le guidon de la bécane, je pouvais dans un ‘gym cana’ périlleux me faufiler à travers les files de voitures et faire l’aller-retour en des temps records.
C’est dans cette cité de Sainte Eutrope, que je fis connaissance de Maryse et Alain Joissains. Ils étaient tous deux étudiants en droit. Il nous arrivait le week end de prendre le temps de faire, ensemble, à pied le déplacement à pied au ‘RU’ des Fenouillères’. C’est lors de ces promenades dominicales que j’appris qu’Alain s’était engagé dans la marine dès l’âge de seize ans. Selon ses propos, cet engagement fut pris en raison d’un conflit avec son père. Son parcours, par certains côtés, avait certaines ressemblances avec le mien. C’est ce qui nous fit sympathiser. Libéré de son engagement à l’âge de vingt et un an, il se retrouva à Toulon où il fit la connaissance de Maryse qui travaillait dans un bar du port en tant que ‘plongeuse’. Animés d’une farouche volonté, ils entreprirent une capacité en droit dont les cours étaient dispensés dans la ville militaire. Ils réussirent brillamment ce cursus qui les fit accéder à l’université d’Aix en Provence pour y poursuivre avec succès la licence en quatre ans, qui équivaut à la maîtrise d’aujourd’hui. Par la suite je perdis de vue Maryse et Alain. C’est plusieurs années plus tard que j’appris de façon fortuite qu’Alain accédait au poste de premier magistrat de la ville d’Aix en Provence et qu’il dû se démettre de ses fonctions de Maire consécutivement à un scandale financier dans lequel, il semble, avoir été impliqué.
Dans les mois qui suivirent notre arrivée à Sainte Eutrope Mireille voulu acquérir une voiture. Un soir alors que je revenais de mes cours elle me montra fièrement une petite voiture aux allures sportives qu’elle avait achetée d’occasion à un vendeur automobile qui faisait du démarchage à domicile. Surpris par cet achat intempestif, et n’étant pas titulaire du permis de conduira, on gara le véhicule à l’arrière de l’immeuble en lisière de la haie d’arbres qui bordait la cité. En raison de la proximité des examens qui approchaient je demandais à Mireille que je diffère mes leçons de conduite. La priorité était de réussir le passage en deuxième année.
Dès que j’eu connaissance de ma réussite je m’inscrivis aux cours d’auto école. C’est en date du 22 Juillet 1967 que j’obtins ce fameux permis de conduire qui n’était pas encore à points. Le lendemain on prit la route pour Tallard. J’eus quelques difficultés à faire démarrer le véhicule qui était resté immobilisé près de deux mois sous cette haie. On emprunta la route Napoléon, cette nationale que j’avais empruntée des centaines de fois avec ‘ Louis Le Magnifique’ lorsque j’allais avec lui à Marseille ou qu’il venait me chercher lorsque j’habitais à la rue Thiers. Mais cette fois c’était différent de passager je devenais subitement conducteur. On arriva sans encombre à Tallard deux heures plus tard.
Le lendemain de ce premier parcours, je voulu me rendre à Gap, j’eus les mêmes difficultés de démarrage. Après avoir franchi quelques centaines de mètres la voiture cala définitivement en plein milieu de la chaussée. Arrêté dans la rue Jacques Bonfort, on pu pousser la voiture jusqu’au garagiste de la place du commandant Dumont situé à côté de l’hôtel des Voyageurs. Le verdict fut sans appel : bielle coulée. J’étais interloqué par un tel diagnostic. Je compris que Mireille s’était faîte roulée par ce vendeur sans scrupules. En effet mon camarade Jean Michel, qui habite toujours chemin de Bône à Gap, m’indiqua que le numéro de châssis du véhicule ne correspondait pas au numéro de série figurant sur la carte grise. Ainsi ‘le catalogue des catalogues’ permit de connaître la tricherie du garagiste d’Aix en Provence. Mais je ne savais pas que cette circonstance était une clause résolutoire de vente. Je l’appris qu’au courant du deuxième trimestre de l’année universitaire 1967-68 en cours de droit civil sur la théorie des obligations c’était à Strasbourg……..





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