lundi 18 mai 2009

L'Epopée Poitevine: La Parenthèse Vendômoise


'C'était un endroit où je me rendais fréquemment après le déjeuner de midi , avant de reprendre mon travail à la Clinique du Bon Secours'
Le lundi 3 Septembre 1984, je quittais Saint Benoit vers six heures du matin pour me rendre à Vendôme, là où le mois de Juin précédent j’avais été reçu par une certaine Madame Nouri qui occupait le poste de Directeur Adjoint à la Clinique du Bon Secours. Selon ses propos le poste, qu’elle quittait pour son départ à la retraite, devait évoluer assez rapidement vers la fonction de Directeur pour succéder à Sœur Marie la Mère Supérieure de l’ordre qui occupait la fonction. C’est d’ailleurs cette dernière perspective qui m’avait fait accepter ce poste d’adjoint qui ne devait être que transitoire. Mais sur ce point le contrat de travail qui me fut proposé ne faisait nullement allusion à cette évolution que Madame Nouri avait évoquée à plusieurs reprises lors des différents entretiens dans le cadre de la procédure de recrutement. Je faisais confiance, les évènements ultérieurs révélèrent que je commettais une regrettable erreur. Cela me fit me fit penser par la suite à René Lucchi mon ancien patron de la FNCA de la rue de Gramont. Lequel me disait toujours : ‘On négocie toujours avant, jamais après’. Mais ce matin de septembre rien ne me permettait d’envisager que la promesse faîte ne serait pas tenue. J’avais de par mes fonctions à effectuer une période d’essai de six mois au terme de laquelle je pensais accéder au poste de Directeur de la clinique.
Clinique du Saint Cœur-Bon Secours :

La clinique à l’époque était gérée par la Congrégation du Saint Cœur de Marie, laquelle avait fusionnée dès 1977 avec la Congrégation du Bon Secours dont le siège se trouve à la rue Notre Dame des Champs dans le sixième arrondissement à Paris. A l’origine la congrégation Vendômoise gérait une maison de retraite de 120 lits, la clinique en médecine, Chirurgie, et Obstétrique dite MCO comprenant 90 lits, ainsi qu’une maison de convalescence de 27 lits. La Congrégation avait par ailleurs géré, durant plusieurs, décennies une école ménagère qui avait cessé son activité dès la fin des années fifties. On notera en outre que l’ensemble des activités étaient regroupées sur un même territoire appartenant à la Congrégation et placé en plein cœur de la ville. A L’époque la plupart des congrégations gérant des cliniques cherchaient à s’en décharger en créant des sociétés d’exploitation avec les chirurgiens qui avaient la responsabilité effective d’assurer la pérennité de l’établissement. Le montage juridique de l’opération consistait à ce que la congrégation crée une société civile immobilière : une SCI qui louerait les locaux de la clinique à une société anonyme : une SA. Laquelle serait constituée par les chirurgiens et l’ensemble du corps médical envoyant des patients dans l’établissement. SCI et SA constituant ce que l’on dénommait à l’époque une société d’exploitation. Dès les premiers mois de mon arrivée, je proposais à Sœur Marie Le Bolay la Supérieure du Saint Cœur, ce schéma de restructuration que d’autres cliniques de la région avaient adopté. Sa réponse resta évasive et prétextât qu’elle devait en référer à la Sœur Provinciale qui se trouvait à Paris. Sur l'instant je ne compris pas ce mutisme apparent. En fait en analysant la situation aujourd’hui on se rend compte que ce montage ne devait pas satisfaire la Congrégation du Bon Secours qui avait absorbé la Congrégation Vendômoise, laquelle connaissait des difficultés financières depuis plusieurs années déjà, expliquant ainsi la fusion avec la grande sœur. Mais à l’époque j’ignorais l’opération de fusion qui s’était effectuée en 1977. De fait Sœur Marie n’avait peut être pas grand-chose à dire sur le devenir de la clinique. Le pouvoir avait changé de mains. Lorsqu’on fait une requête sur google, on se rend compte aujourd’hui que la clinique a été rétrocédée à l’important groupe Vitalia. Lequel a procédé, sur l'emplacement de l'ancienne maison de retraite de la congrégation du Saint Coeur, à d’importants investissement d’extensions que les chirurgiens n’auraient pas été en mesure d’effectuer à cette époque. Dès cet instant je compris confusément à travers l’attitude énigmatique de la sœur supérieure que je ne pourrai faire carrière dans cet établissement dont les véritables enjeux financiers m’échappaient.
Le Calvaire Vendômois :

C’est par une belle matinée d’automne que je pris mes fonctions à la clinique du Saint Cœur ; ayant à effectuer une période d’essai de six mois, la congrégation me loua une petite chambre qui était rattachée à la maison de retraite se trouvant à l’arrière de la clinique. J’avais emmené de Poitiers ma chaine stéréophonique, une Béomaster, que j’avais achetée quelques années auparavant avec l’argent que j’avais reçu de ‘Tati’ en 1978. C’était la seule chose de valeur que j’avais pu emmener, cela me permettait le soir d’écouter mes disques préférés ainsi qu’une cassette que Véronique m’avait enregistrée de ‘JPS’ un copain de son frère François. Durant tout le mois de septembre madame Nouri me consacra le temps nécessaire pour me faciliter sa succession. Ainsi, elle me présentant les différents responsables de services ainsi que les membres du corps médical qui exerçaient au sein de la clinique.
Sœur Madeleine d’origine polonaise avait été accueilli dans l’entre deux guerres par la congrégation du Saint Cœur et y avait suivi l’enseignement de l’école ménagère. Ce n’est que par la suite qu’elle exerça des fonctions d’infirmière qui lui permirent d’occuper le poste de responsable du service de médecine au premier étage de la clinique. Selon Madame Nouri, Sœur Madeleine avait perdu la foi, les méchantes langues disaient qu’elle cherchait par tous les moyens à déshabiller les patients nouvellement arrivés dans le service. Pourtant Sœur Madeleine se révéla par la suite une collaboratrice efficace qui m’aida dans la refonte des plannings du personnel afin de faire respecter le dispositif conventionnel qui ne l’était pas. Ou du moins, Madame Nouri avait cherché à avantager ses protégées au détriment d’un strict respect du dispositif juridique auquel les infirmières, aides soignantes et agents hospitaliers les ASH avaient droit. Je fis également la connaissance du docteur Sournia chirurgien du viscéral dont sa femme occupait la fonction de sage femme au service de maternité qui se trouvait au troisième étage. Egalement un jeune chirurgien adjoint à Sournia, un certain Berger, avec lequel je sympathisais. A l’époque un certain malaise régnait dans l’équipe des chirurgiens car selon Sournia, son ancien associé orthopédiste aurait commis certaines erreurs médicales contribuant à rompre le tandem qui avait été institué depuis une quinzaine d’années. Ce fut un jeune orthopédiste qui prit la relève il s’agissait d’un certain Docteur Leche lequel semble encore aujourd’hui exercer avec Berger.
Début octobre, après le départ de Madame Nouri, je me trouvais à exercer pleinement ma fonction face à un corps de chirurgiens peu préoccupé de la rentabilité de la clinique, avec la congrégation qui par le biais de Sœur Marie Directrice en titre cherchait à vouloir imposer au corps médical son point de vue qui n’était guère apprécié par ces derniers. Face à ces tiraillements le personnel infirmier qui était moins bien rémunéré que celui de l’hôpital du CHG de Vendôme ne restait pas en poste et je devais perpétuellement me mettre en chasse pour remplacer ces démissions en série.
Dès le samedi après midi, ma seule hâte était après avoir vérifié que le personnel de garde pour le week end serait effectivement présent, je quittais Vendôme pour aller rejoindre Marie Mich à Poitiers où je me sentais revivre. Mon départ de Poitiers m’avait profondément affecté et l’absence de Marie Mich me faisait cruellement souffrir. Pourtant je pensais qu’il avait été nécessaire de quitter l’IME Pierre Garnier où Napelon et les éducateurs voyaient en moi le gestionnaire qui s’opposait à des dépenses excessives et imposant la rigueur budgétaire. Passant par Tours, je faisais un crochet par l’école des éducateurs où sa fille ainée Anne Simonnet y poursuivait ses études. Ainsi chaque week end entre Tours et Poitiers j’échangeais avec sa fille sur la légèreté avec laquelle les éducateurs agissaient souvent. Pour elle ces études n’étaient qu’un tremplin qui pourraient déboucher à plus long terme sur une autre carrière plus motivante. Ainsi naissait une certaine complicité entre sa fille ainée et moi, c’était notre jardin secret dans lequel on aimait se retrouver.
En fait, l’expérience Vendômoise se révélait être une erreur que je ne voulu pas admettre. Ma fragilité affective, exacerbée par l’enfer de Ville Evrard, ressortit avec une violence inouïe me faisant perdre tout raisonnement logique. Je sentais qu’un mal de plus en plus profond venait m’assaillir me plongeant dans une souffrance morale qui m’anéantissait. Souvent pour fuir cet état je me réfugiais dans un travail forcené pour essayer d’oublier cette douleur. C’est ainsi que Sœur Madeleine tard dans la soirée venait me rejoindre dans mon bureau qui se trouvait derrière l’accueil dans le grand hall d’entrée de la rue Honoré de Balzac. C’est elle qui me fit part qu’elle avait été recueilli par la congrégation au début des années vingt, qu’aujourd’hui en raison de son statut de religieuse elle était condamnée à rester dans la congrégation car la clinique ne versait qu’une indemnisation et que de ce fait, elle n’avait jamais cotisé au régime général et encore moins à une institution de retraite. Cette révélation était hallucinante, c’est dans ce contexte un peu particulier que Sœur Marie qui avait également perçue ma souffrance, m’aida à élaborer les plannings qui permettaient de respecter les droits et obligations pour chaque catégorie de personnel prévus par le dispositif conventionnel. Une sincère amitié se développa secrètement à cette occasion avec Sœur Madeleine en qui je voyais ma grande sœur protectrice. Un après midi alors que je me déplaçais dans Vendôme du coté de la gare, une femme m’interpella pour me saluer, sur le coup je ne savais pas qui pouvez ainsi me dire bonjour : C’était Sœur Madeleine qui revenait de Paris voir un membre de sa famille. Elle était habillée en civil !
Les Elphes de la Souffrance :

Chaque lundi matin je quittais Saint Benoît au petit matin pour me trouver à pied d’œuvre à la clinique dès 8h30. J’avais quelques 140 kilomètres à parcourir pour rejoindre mon lieu de travail. A chaque tour de roue je ressentais cela comme un arrachement à ce Poitou où j’avais tant aimé flâner sur ses sentiers avec ‘ Ty Mich'. Alors je ressentais l’angoisse m’envahir, et qui me terrassait. Des torrents de larmes venaient troubler ma vue perturbant ma conduite, mais je n’avais pas le choix. Il fallait se rendre dans cette clinique perdue dans le Loir et cher, et y rejoindre le soir cette chambre dans la Maison de Retraite qui recevait des indigents. Le ménage n’y était jamais effectué, et il m’appartenait de changer les draps une fois par mois. C’était un véritable mouroir, la porte vitrée qui donnait sur la cour intérieure de la congrégation laissait un espace de deux à trois centimètres où le vent s’engouffrait. La salle d’eau qui jouxtait la chambre comprenait seulement un lavabo sans eau chaude et un WC. Je ne possédais pas de réchaud et le matin je devais me rendre dans un bar du centre ville pour y prendre un café avec un croissant. Je sentais la solitude peser terriblement, en dehors du travail je n’avais personne à qui parler. Il n’y avait que Sœur Madeleine et parfois Sournia qui prenait son repas le soir avec la sœur infirmière du bloc opératoire après une intervention chirurgicale qui finissait tard en soirée.
Dans cette atmosphère insupportable, enfermé dans les locaux de la congrégation dès ma journée de travail achevée, il m’arrivait fréquemment de prendre seul mon repas du soir dans la salle de restaurant du personnel. Après le repas j’avais qu’une seule envie fuir ces lieux où je souffrais de cette solitude insupportable. Pour essayer de trouver un peu de dépaysement il m’arrivait de me rendre à Blois dont le premier magistrat avait été un certain Jacques Lang devenu ministre de la culture de François Mitterrand puis près un quart de siècle plus tard, devenir un servile laquais de notre Président actuel. C’est ainsi que je connu une certaine ‘Françoise Fleur’ qui tenait un commerce de fleurs à Romorantin. ‘FF’ comme je la dénommais était tireuse de carte et je lui demandais à l’occasion de nos rencontres nocturnes de me les tirer. Cela me rappelait quelque part ces temps lointains où ‘Tati’ tirait les cartes à ‘Louis le Magnifique’ dans les années sixties à Tallard. Immanquablement, elle arrivait à tirer la carte qui représentait selon elle Marie Mich. La prédiction disait que ma relation avec Marie Mich était loin d’être achevée, elle rajouta que je mettrais beaucoup de temps à rompre la relation. En quelque sorte la prédiction s’avéra assez juste, puisqu’il nous arrive encore aujourd’hui à se donner sporadiquement de nos nouvelles.
Mais ces nuits de Blois n’étaient qu’un subterfuge pour tenter d’oublier l’insupportable douleur qui envahissait tout mon être. Les mêmes errements à vendre mon âme me fit connaître une autre Françoise qui habitait Tours. C’était une jolie femme qui était divorcée ayant un enfant à charge et qui se trouvait sans emploi. Je lui proposais de la recruter comme agent de service hospitalier au service de la Maternité pour l’aider à sortir de la mauvaise passe dans laquelle elle se trouvait. Je ne su jamais ce qu’il se passa mais en fin de matinée de sa première journée de fonction elle donna sa démission prétextant que le travail n’était pas assez motivant. Je fus attristé par une telle attitude qui était totalement aberrante, mais parfois la souffrance vous fait faire des choses totalement inexplicables. Je ne revis jamais Françoise la Tourangelle. Mes allées et venues à Poitiers devenaient de plus en plus difficiles, car chaque départ le lundi matin était vécu comme une petite mort qui chaque fois m’affaiblissait davantage affectivement. Dans le courant de l’hiver 1985, Marie Mich m’avait avisé qu’elle arriverait tard dans la nuit en raison d’un stage qu’elle était allée suivre du côté de Grenoble. Arrivé à Poitiers vers dix huit heures, je trouvais comme prévu la petite maison de Saint Benoît vide. Ses enfants étaient également absents. Je restais là de longues heures à attendre, puis ne pouvant plus supporter le silence oppressant qui m’envahissait je décidais de me rendre dans le vieux Poitiers du côté de Notre Dame la grande là où nous avions souvent l’habitude d’aller flâner. C’est ainsi qu’il me vint l’idée d’aller saluer son amie François Muguet qui habitait non loin de là , afin de pouvoir parler un peu à quelqu’un et rompre ce silence étourdissant. C’est ainsi que son amie me révéla que Marie Mich lui aurait confié d’avoir rejoint à Noël 1982 un certain Pierrot le psychologue de Biviers qui avait été son ancien amant du temps de son premier mari. Cette révélation n’en était pas vraiment une car à l’époque j’avais ressenti que Marie Mich en se rendant à Grenoble n’avait pas dit toute la vérité. Ainsi Françoise Muguet fut la troisième Elphe qui sévissait à son tour. La relation fut de courte durée car le souvenir obsessionnel de Marie Mich venait me hanter.
Au terme de ma période d’essai qui s’acheva en Février 1985, le Maire de Vendôme me fit obtenir un logement situé à 50 mètres de la clinique. Je pus dès cet instant m’installer chez moi en ramenant mes meubles stockés dans le sous sol de Saint Benoit. Une vie plus normale pouvait reprendre, c’est ainsi que Marie Mich vint à plusieurs reprises à Vendôme et qu’elle fit la connaissance de certains de mes collaborateurs : Un certain Monsieur Jouhanneaud le chef comptable ainsi qu’une des deux sages femmes de la clinique, laquelle habitait dans le même immeuble que le mien.
L’ignominie du Saint Cœur :

Bien que par courrier du 10 août 1984 la mère supérieure du Saint cœur, Marie Le Bolay, m’avait spécifié que l’engagement en qualité de Directeur Adjoint était susceptible d’être évolutif ; cette clause se révéla être un mensonge qui éclata au grand jour au terme de ma période d’essai. En effet ma titularisation ne fut accompagnée que d’un simple réajustement de rémunération qui était loin d’atteindre le salaire conventionnel d’un Directeur de clinique. Néanmoins si je n’en avais pas le titre, j’en exerçais la responsabilité pleine et entière. Marie le Bolay invoqua que la mère Provinciale considérait cette évolution comme prématurée. Dans ces conditions, je fis comprendre à Sœur Marie que cela n’était pas honnête car ma prise de fonction avait été subordonnée à ce que le poste de Directeur Adjoint évolue vers une direction à part entière au terme des six mois d’essai. De fait je lui notifiais clairement ma perte de confiance. Dès lors, je recherchais auprès de la société ‘L’Appel Médical’ si un poste de Directeur de Clinique pouvait à terme se présenter. Déjà mon esprit était ailleurs. Pour être agréable à Marie Mich, je fis en sorte que Petiot’, la benjamine de ses quatre enfants, puisse avoir un remplacement d’été en tant qu’ASH au service maternité. Ainsi dès Juillet 1985 j’hébergeais Véronique qui pût durant deux mois effectuer son remplacement d’ASH sans avoir à chercher à se loger.
En août je lui confiais l’appartement, car Marie Mich et moi partions passer nos vacances à Salou que je décris dans ‘En Quête D’Ailleurs’ à l’article 37 consacré à sa mère : ‘Madame de Lizant’.
En reprenant mes fonctions début septembre je pris connaissance d’un pli recommandé qui me fixait un rendez vous avec Sœur Mari dans le début de l’après midi. Il s’agissait de mettre un terme à mon contrat de travail. Sœur Marie se fit larmoyante, je l’intimais à cesser sur le champ son hypocrisie qui était chez elle une pratique courante. Je lui répondis qu’elle aurait, peut être, la dignité de me régler mon préavis de trois mois et de m’en dispenser comme cela se pratiquait habituellement en de pareilles circonstances. A mon grand étonnement, elle acquiesça mais se garda bien de dire que son règlement se ferait mensuellement, alors qu’en général il est versé par anticipation.
Ainsi ce lundi 4 septembre 1985, dès seize heures je quittais définitivement l’enceinte de la clinique pour rejoindre mon appartement. Dans la soirée je pu contacter Marie Mich qui était à cent lieux de se douter d’une chose pareille. Sans hésiter elle me proposa de réintégrer Saint Benoît.

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