mercredi 17 septembre 2008

La Génèse: Mémé et Tati




"Gazé sur les champs de batailles, 'L'Entreprenant' fut envoyé en convalescence à Mèze où il fit la connaissance de ma grand-mère , c'était dans le courant de l'année 1918"







Au bord de l'Etang de Thau

Odile Bourdiol naquit en 1900 à Mèze petite bourgade située au bord de l'étang de Thau, à quelques kilomètres de Bouzigues face à Sète ville de Paul Valéry et de Georges Brassens. Ce petit port de pêche fut édifié au pied de la colline Mesua au cours du VIème siècle avant Jésus Christ, il constitue aujourd'hui la perle de l'étang de Thau. Niché au coeur de la lagune languedocienne, il devient dès le dix huitième siècle l'arrière port de Sète. Son père y faisait du cabotage. Avec son bateau à voiles, il transportait dans les années 1880 le vin à Sète et ramenait du charbon pour la commune de Mèze. Parfois Mémé évoquait le souvenir de son père, alors je voyais son visage s'éclairer,s'illuminer. Manifestement elle éprouvait pour lui une grande fierté. Elle me parlait aussi des moules de Bouzigues, des grands parcs à huitres de Mèze. Lors des fêtes du 15 Août la municipalité organisait des joutes dans le port. Mon arrière Grand Père était toujours le vainqueur de ces combats cyclopéens me disait elle! Dans mon esprit d'enfant, je l'imaginais tel un gladiateur des mers campé sur la plate forme arrière d'un grand pointu. Armé de sa longue lance et son bouclier en bois , il cherchait à renverser son adversaire quand les deux grosses barques se croisaient. J'entends dans ma tête les clameurs de hourras lorsque le fils du pays faisait tomber à l'eau son adversaire venu de Bouzigues. En 1978 lorsque je vins pour la première fois au pays de ma grand Mère, je pus assister à ces combats de joutes que Mémé me décrivait lors des longs soirs d'hiver passés dans la véranda allongé sur mon lit de fortune. Mais cette fois ci il y avait le son , les couleurs , l'ambiance. Rien ne manquait de ce que Mémé avait pu décrire 28 ans plus tôt. Mais en ce jour du 15 Août 1978 je voyais en arrière plan mon tri aïeul : Le Gladiateur des mers l'invincible! En 1915 elle épousa un jeune du pays qui quelques mois plus tard tomba sous les balles allemandes. Ainsi se retrouva -t- elle , la plus jeune veuve de guerre à l'âge de seize ans. Pauvre Mémé qui en cachette de 'L'entreprenant' se rendait chaque année à Mèze pour rendre visite à sa jeune nièce Christiane Soriano. En fait , c'était un alibi 'béton' pour aller secrètement au cimetière pour se recueillir sur la tombe de son premier mari perdu au combat pour défendre notre chère Patrie. Cruelle destinée...



Pourtant dès 1919, elle fera la connaissance de 'L'Entreprenant': Joseph B.......qui était venu à Mèze en convalescence après avoir été gazé sur les champs de bataille à Verdun. Mariée, elle donna le 20 Mars 1920 naissance à mon père 'Louis Le magnifique'. Cette année là mes grands parents s'installèrent à La Loupe près de Chartres en Eure et Loir. 'Mémé' y créa un commerce de parapluies dont elle assurait la confection. Sur des photos jaunies par le temps on devine les modèles qu'elle proposait aux chalands de l'époque. On pouvait choisir la poignée et le tissu , permettant ainsi d'avoir un parapluie réellement personnalisé. On était encore loin de la standardisation industrielle et des productions de masse!
Vers mille neuf cent soixante , lors du décès de 'L'entreprenant', mon père remonta à Tallard des caisses entières de poignées de ces fameux parapluies des années folles de l'après guerre. Ces caisses avaient été stockées dans les caves de la rue Thiers lors de leur venue à Marseille. Depuis lors, elles avaient sombré dans l'oubli durant une trentaine d'années. Cela constitua un butin inattendu pour mon frère et moi. Il nous permis de troquer ces poignées d'ivoire pour quelques centimes en échange de malabars ou de tablettes de chocolat. Quelle dérision, nous ne savions pas à cette époque des trente glorieuses que nous jouions avec des poignées qui de nos jours restent introuvables.
Dans leur magasin 'Chez Bébé', ma grand mère abandonna la confection des parapluies pour se reconvertir dans l'habillement des moïses, ces berceaux en osiers qui se vendaient très bien jusque dans les années cinquante. Je fus moi même le spectateur émerveillé des réalisations de Mémé . Souvent sujet aux angines durant les hivers, mes grands parents m'installaient un lit de fortune sur une chaise longue dans la véranda qui se trouvait à l'arrière du magasin. Cette vaste pièce constituait notre lieu de vie . Ainsi chaque hiver je passais plusieurs semaines à y dormir cloué par la fièvre. Nos chambres se trouvant au deuxième étage, mon grand père ne voulait pas que je prenne froid en montant les escaliers. C'était encore le temps des sulfamides, la tétracycline-trisulfasine n'avait pas encore fait son apparition à la Pharmacie Michel jouxtant la pâtisserie Plauchud. Mémé restait donc avec moi la nuit pour veiller sur mon sommeil. Pépé montait seul au deuxième étage où nous avions nos chambres. Lors de ces longues veillées d'hiver, seul le ronronnement de la cuisinière à charbon se faisait entendre. Alors que le rideau du magasin était tiré depuis vingt heures, ma grand mère s'attelait à l'ouvrage dès la fin du dîner. Lors d'une nouvelle commande faîte par un jeune couple, ces derniers avaient pu se procurer un tissu en crêpe auprès d'un surplus américain comme il en existait au lendemain de la guerre. Un ballot entier de ce tissu fut remis à ma Grand mère. C'était manifestement trop pour habiller un moïse . Mais quelle surprise lorsque le ballot fut ouvert. Ce crêpe rose presque transparent était entièrement mité et comportait de larges trous. Les chalands n'ayant pas le téléphone ma grand mère ne pouvait les joindre. Après en avoir discuté avec 'L'entreprenant' ma grand mère décida de multiplier le nombre de volants afin de cacher les trous de ce tissu mité. Mémé travaillait chaque soir très tard dans la nuit à la réalisation de ce berceau. J'essayais de la suivre dans ce travail délicat , mais la fièvre me terrassant je finissais par sombrer dans un sommeil profond et réparateur . La date de livraison fut respectée, et le résultat inattendu. Le renforcement des volants donnait une impression d'un volume extraordinaire , les trous de mites ne pouvaient plus se voir. Jamais elle n'avait été autant félicitée. D'un tissu mité, par son ingéniosité , elle avait su tirer parti pour donner un magnifique berceau au bébé qui allait bientôt venir au monde.
Dès le 15 Février 1955 date de l'enterrement de mon Grand Père Maternel , je quittais Le Sacré Coeur en pleine année scolaire, alors que je me trouvais en 7ème correspondant au CM2, pour être placé à L'Institut Polytechnique du Docteur Chaurand à Toulouse. L'époque de la rue Thiers touchait à sa fin. Ce n'est qu'à compter de 1965 qui marque mon arrivée à la Faculté de Sciences Économiques à Aix en Provence , que je reviendrai régulièrement lui rendre visite à l'appartement du premier étage qui avait été occupé autrefois par 'Tati'.
Mais un soir de Septembre 1970 elle dû être hospitalisée à Sainte Marguerite pour y décéder le 28 du mois. Mon premier et dernier voyage avec elle fut Marseille- Saumur pour rejoindre Autrente.....
Tati au lendemain de la guerre , alors qu'elle se mariait, reçue de mes grands-parents cet appartement du premier étage. En 1950, date de mon retour dans la ville phocéenne,'Tati' était déjà divorcée. Durant cinq ans, je passais avec elle mes 'week-end' de la période estivale à la calanque du mugel à la Ciotat.Mais je reviendrai ultérieurement sur ces expéditions dans ' La Dynastie de L'Ephémère'. Je me souviens aussi de ces jeudis matins lorsque je finissais à me lever,après plusieurs appels désespérés de ma grand mère m'invitant à venir prendre mon petit déjeuner sur les coups de onze heures. En descendant les escaliers obscurs, je croisais dans la pénombre Riquet qui sortait furtivement de son appartement. Sans comprendre la situation, je me doutais que j'étais le témoin d'une scène que je n'aurais peut être pas dû voir. Alors par discrétion , ou par timidité, je me laissais glisser le long de la rampe faisant croire que moi non plus je n'avais rien vu. Il s'agissait d'Henri Caviggia avocat au barreau de Marseille qui fut son défenseur lors de son divorce. Ce n'est que plusieurs années plus tard que 'Tati' pu épouser 'Riquet' comme l'appelait ses intimes. Je revois encore ma tante, un après midi de l'été 1952, allongée sur la chaise longue de la véranda entourée par mes grands parents. Je revenais du jardin, sans me donner la moindre explication on me demanda de quitter la pièce immédiatement. Je compris qu'il se produisait un évènement grave dont on voulait me cacher les raisons. En fait je réalisai que 'Tati' attendait un enfant de 'Riquet'. 'Louis Le Magnifique' me confirma quelques années plus tard l'évènement. Il fut surpris que je puisse savoir cela, alors que personne n'en avait soufflé un mot.
De cette période passée avec 'Tati' à la calanque du Mugel et la villa des Roses j'en conserve un souvenir inoubliable. Par la suite ayant quitté Marseille, je revoyais épisodiquement 'Tati et Mémé' lorsqu'elles venaient passer quelques jours à Tallard à l'occasion des fêtes de Noël dans les années soixante du temps de Nathela. C'est à l'automne 1977, alors que je travaillais déjà depuis plusieurs années en région parisienne, que je profitais lors d'un déplacement professionnel à Marseille pour lui rendre visite. Depuis le décès de Riquet, elle avait dû quitter la Villa des Roses pour rejoindre son appartement de la résidence Bella Vista surplombant Figuerolles à la Ciotat. Elle était atteinte d'un cancer du sein qui diffusait déjà des métastases. Un après midi je l'accompagnais au CRAC, devenu aujourd'hui le Centre Paoli Calmette à Sainte Marguerite. C'est comme un vent de sable qui souffle sur ta peau me confia t elle. Pauvre Tati , tu espérais que la radiothérapie pourrait enrayer le processus. Le lendemain, elle voulu à tout prix me raccompagner à Marignane. Avançant péniblement, elle s'accrochait à mon bras pour parvenir jusqu'au grand tapis roulant qui menait vers l'embarcadère. Je revoyais défiler en arrière plan les sentiers que nous parcourions pour nous rendre à la plage du Mugel vingt cinq ans plus tôt. Nous vivions nos derniers instants, et moi je devais la laisser là au bout ce ce tapis qui allait m'enlever pour rejoindre le macrocosme. Je me retournais une dernière fois pour la voir s'éloigner , elle restait là immobile.Quelques mois plus tard, le 8 Mars 1977 elle rejoignait Autrente à Saumur.
Ma soeur Anne qui travaillait à l'époque à Orléans, était venue me rejoindre à mon domicile de Noisy Le Grand pour nous rendre au pays de la rose. On prit la route dès cinq heures du matin afin d'arriver à destination en début de matinée. On entra dans Saumur vers sept heures du matin, la ville à cette heure était déserte . Ne connaissant pas l'hôtel où était descendu 'Louis Le Magnifique' on alla à la recherche de sa voiture qui était encore immatriculée dans les hautes alpes. A défaut de le trouver on pu contacter Marc qui était venue avec sa femme. Ainsi en milieu de matinée on se rendit tous les quatre au cimetière de Saumur : allée O emplacement 30. Le corbillard en provenance de Marseille était déjà là , la dalle du tombeau avait été déjà enlevée. 'Louis Le Magnifique' accompagnée de 'Louise' arrivèrent quelques instants plus tard. C'est dans ces circonstances que je fis connaissance de la cinquième dynastie: 'La Dynastie Sicilienne'. Mon père nous accusa de je ne sais quelle conspiration à son encontre. Médusés on assista dans le plus grand silence à l'inhumation de Tati . A l'issue des obsèques , je proposais discrètement à Marc de nous rendre à Douai la Fontaine chez notre cousine Marie Henriette qui lors des décès préparait un repas pour réunir la famille. Comme il fallait s'y attendre 'Louis Le Magnifique' arriva à son tour, l'ambiance fut sinistre, peu de mots furent échangés. Marie Henriette ignorant l'incident du cimetière ne savait plus quelle attitude prendre pour essayer de dégeler l'atmosphère. A la fin du repas Marc et moi même devions repartir en raison de nos obligations professionnelles respectives. On fit la route ensemble jusqu'à Tours, Marc continua tout droit pour prendre la route du sud, quant à moi je franchissais le pont de la Loire pour rejoindre la Capitale, et déposer Anne à Orléans.

2 commentaires:

Copernic a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Copernic a dit…

Selon des recherches généalogiques effectuées par Louis Le Magnifique, il semblerait que la branche 'Bourdiol' dont est issue Mémé soit originaire de la Catalogne.
Les Bourdiol seraient venus s'installer en terre languedocienne vers le quatorzième siècle à un époque où elle ne relève pas encore du royaume de France.