vendredi 22 mai 2009

Pen Ar Bed: L'Insondable Kan

'Dans le Yi King, Kan est le troisième fils. Sa symbolique est reliée au danger: L'Insondable. Il correspond également au domaine du mystère et de l'intériorité.'

Dans L’Insondable Kan, j’invite le lecteur à partager ce ‘voyage intérieur’ dans lequel je fus plongé durant les deux premières années de mon arrivée en Bretagne. Mais c’est aussi la narration de cette confrontation aux affres de la déstructuration de l’esprit que l’exil m’imposa et que je décris sans complaisance. Certains pourront s’en trouver choqués. Peu importe, seul celui qui ne fut pas confronté à une telle torture affective ne peut en comprendre la réelle portée.

Pen Ar Creach’ :

Cela faisait près de deux heures que j’attendais l’ouverture de l’agence Thépot lorsque cette dernière ouvrit, dès neuf heures, ses portes du 20 de la rue de Siam. Je prenais possession des clefs pour rejoindre en toute hâte le 32 de la rue de Paris pour y accueillir le camion de déménagement. A 9h30 je parvenais à destination, heureusement ‘les Déménageurs Bretons’ n’étaient pas encore arrivés. Je garais la voiture dans le parking qui se situait en arrière de l’immeuble et j’attendis patiemment que ces derniers arrivent. Le téléphone portable n’existait pas encore, de fait je me trouvais dans un état d’isolement complet dans une ville où la plupart des noms étaient incompréhensibles : Pen Ar Creach c’était le nom du quartier où se trouvait l’immeuble que j’allais habiter.
Vers dix heures le camion vint s’immobiliser devant la porte de l’immeuble, les opérations de déchargement purent enfin commencer. A midi tout était fini et je me retrouvais seul dans ce trois pièces que j’avais au quatrième étage et dernier étage de l’immeuble. Au milieu des cartons, il régnait un silence effrayant, je devais me rendre à EDF-GDF pour faire rouvrir les compteurs et me rendre aux Télécoms pour demander l’ouverture d’une ligne téléphonique afin de maintenir le contact avec Saint Benoît. Ne connaissant pas la ville, ces démarches au demeurant simples me paraissaient insurmontables. En début d’après midi je m’aventurais dans la rue Jean Jaurès, l’artère principale de la ville menant à la place de la Liberté, où je trouvais sans difficulté les Télécoms. C’était déjà la certitude de pouvoir téléphoner à Marie Mich dans les prochains jours. L’agence EDF-GDF fut plus difficile à trouver car celle dont je relevais se trouvait à proximité du port de commerce.
Ces premières démarches accomplies, je disposais de toute la première semaine de juin pour aménager l’appartement afin qu’il soit entièrement opérationnel dès le 9 juin, date présumée de ma prise de fonction. N’ayant pas d’armoire pour ranger mes vêtements, je décidais d’aménager une penderie dans le dressing room qui se trouvait dans la partie centrale de l’appartement. Cette disposition n’était pas sans me rappeler celle de l’appartement que nous occupions à Marseille du temps de Mireille mais avec deux pièces en moins. Toutefois avec ses soixante dix mètres carrés, l’appartement disposait d’un séjour agréable exposé sud ouest. Il permettait, ainsi, de bénéficier du soleil couchant jusqu’à vingt deux heures soit une heure de plus que le coucher de soleil parisien. Seules les chambres se trouvaient exposées nord est. L’une des deux était réservée pour ‘Le Centurion Del Djem’. Je n’avais pas encore eu le temps de lui acheter son lit, provisoirement j’y installais mon bureau. Ce fut une pièce qui ne fut jamais occupée, car Danièle fit la sourde oreille lorsque je lui proposais, lors des vacances scolaires, de faire venir Olivier à Brest en ayant recours au service ‘JVS’ : Je Voyage Seul de la SNCF. Service auquel j’avais eu recours tant de fois, quand Olivier venait à Saint Benoît dans les années 1982 à 84. Bien que je ne puisse parler à personne, la semaine se passa, à ma grande surprise, relativement bien. L’angoisse du silence n’était venue m’assaillir. Dans ces conditions je pensais avoir remporté une grande victoire. En fait l’intense activité à laquelle je m’étais livrée ne m’avait pas laissé le loisir de laisser partir à la dérive mes pensées.
Le lundi 9 juin, je dus me rendre à Quimper où j’étais convoqué quai de l’Odet là où la Fédération louait un petit local. Je fus reçu une nouvelle fois par les membres du bureau qui me présentèrent mon contrat de travail qui avait tant tardé à se faire attendre. Ce dernier n’était pas rédigé sur papier à entête officiel, c’était une sorte de modèle préétabli qui avait été communiqué par L’Union Nationale. Sur l’instant je pris cela pour de la mesquinerie. En fait c’était un moyen de rédiger mon contrat à l’insu du personnel de secrétariat de la Fédération, marquant par là le peu de confiance que manifestaient les responsables fédéraux à l’égard du personnel administratif.
Le 11 Juin 1986 dès neuf heures, je me présentait au siège de la Fédération où je dus me présenter comme étant leur nouveau Directeur. Ni la Présidente, ni un membre du bureau fédéral était présent pour me présenter au personnel . Ce sont ces derniers qui se présentèrent à leurs manières. Le ton était donné confirmant par là même le mauvais présage que j’avais ressenti le mois précédant quand j’étais venu à Plabennec en reconnaissance avec Marie Mich.
Dans le Maelström de la solitude :

Alors que je pensais échapper à l’angoisse de la solitude, celle-ci commença peu à peu à exercer sa terrible attractivité tel ‘un immense trou noir’ qui vous happe dans un effroyable tourbillon. Pourtant lors des premiers jours de ma prise de fonction je pensais pouvoir chasser cette oppression terrible qui venait enserrer mes tempes dans un étrange étau d’acier. Le silence devenait étourdissant, seule la musique parvenait à chasser ce malaise qui venait m’envahir. Pour lutter j’écoutais Jean Guillou, ce célèbre organiste titulaire des grandes orgues de Saint Eustache. Son interprétation mélancolique du célèbre choral de Jean Sébastien Bach : ‘Erbarm dich Mein, o Herre Gott’. Alors que les notes s’écoulaient en répliquant les unes aux autres comme dans l’art de la fugue, je fermais les yeux pour imaginer certains paysages du temps de Tallard, là bas où avec ma fidèle chienne Yana nous allions vagabonder dans les sentiers entourant ce vieux château médiéval qui à l’époque n’intéressait personne. D’autres fois je voulais m’imprégner des accords bizarres de l’orgue historique de Salamanque en écoutant l’interprétation de Francis Chapelet de ce ‘Faux Bourdon anonyme du 16ème siècle’. Alors je revoyais la campagne espagnole là bas à Salamanque où Sancho Pança ce fidèle écuyer de Don Quichotte accompagnait son maître dans ses pérégrinations impossibles. Ces musiques aux élans mystiques furent des centaines de fois écoutées pour s’en imprégner et en rechercher un effet rédempteur. Alors la solitude devenait subitement plus douce, mais elles prirent rapidement une dimension addictive.
Je prenais de plus en plus conscience de cette fragilité affective dont les prémisses apparurent au début des années fifties et où j’allais au fond du jardin de la rue Adolphe Thiers pour m’adonner à mon chagrin dont je ne voulais faire part à personne. Je revois encore aujourd’hui les hirondelles tournoyant dans ce ciel bleu pâle d’automne de la cité phocéenne. Le chagrin se répétait une nouvelle fois avec une lancinante obstination, venant affaiblir un peu plus le champ de mon émotionnel. Dans un sursaut d’élan vital, je décidais alors de provoquer une rencontre qui pourrait être salvatrice. Les rencontres par le biais de l’internet n’existaient pas encore, ce fut le Pub Hebdo ce journal local distribué gratuitement qui fut le support de cette terrible quête pour aller vendre son âme.
C’est sous l'emprise d'une angoisse épouvantable que je rédigeais une annonce qui allait se perdre avec des milliers d’autres démontrant par là même que la solitude frappait durement et qu’il fallait tout faire pour en échapper. Quinze jours s’écoulèrent sans recevoir une seule réponse, nous étions déjà début Juillet et je désespérais que mon annonce n’ai pas reçu d’écho. Un samedi après midi je décidais malgré tout de me rendre au siège du Pub Hebdo qui se trouvait également en bas de la rue de Siam presque en face de l’agence Thépot qui m’avait loué mon appartement. Sans conviction je demandais si j’avais reçu des réponses. L’hôtesse fit des recherches et revint me remettre une quinzaine de lettres. En sortant de l’agence je fus pris d’un fou rire nerveux que je ne pus maîtriser tout de suite. J’ avais pensé que le journal faisait suivre les réponses ; en fait en remplissant mon dossier d’insertion j’avais dus oublier de cocher la case ‘expédier au domicile’. En possession de ce trésor de guerre, je décidais pour la première fois de m’engouffrer dans un bar de la rue de Siam. C’est au Café de Paris que je pris connaissance des réponses qui m’avaient été faîtes. J’entrepris la lecture de ces fameuses lettres, la plupart d’entes elles étaient à éliminer. C’était une procédure un peu similaire à un recrutement à la différence près qu’il s’agissait d’un tout autre marché celui de la solitude qu’on voulait combler. C’était en fait le piège inhérent à ce mode de rencontre qui en quelque sorte forçait le destin
Un été bien singulier :

En ce début du mois de juillet le personnel de la fédération se préparait à partir en congés, cette période était donc propice pour approfondir ma connaissance de l’ensemble des dossiers. Par ailleurs lors de ma prise de fonction, j’avais découvert l’existence d’un profond malaise au sein du bureau fédéral où deux clans s’opposaient violemment. Le groupe du Sud Finistère conduit par la Présidente s’opposait à celui du Nord dont le leader était la Vice présidente. Dans ce contexte, il était très difficile de faire avancer les dossiers, car à chaque réunion c’était un affrontement systématique. Les réunions du bureau se déroulaient au centre de formation agricole de Saint Ségal et dès l’ouverture à dix huit heures les affrontements se manifestaient. Bien souvent le ‘pugilat verbal’ allait bien au-delà du diner pour se prolonger tard dans la soirée. Parfois las de ces querelles stériles, je finissais par exiger de se mettre enfin au travail. Il était fréquent que je quitte Saint Ségal bien après minuit et il fallait encore une bonne demi-heure sur la voie express pour rejoindre Brest.
C’est dans ce contexte professionnel surréaliste que je me préparais à rencontrer les quatre ou cinq personnes qui avaient bien voulu répondre à mon annonce du Pub Hebdo. J’appréhendais ces rendez vous et en même temps c’était un biais pour parler à des personnes en dehors de mon travail. En effet, depuis mon arrivée en Finistère les seules personnes auxquelles je parlais s’avéraient être uniquement dans le cadre professionnel. Ainsi quand je quittais mon bureau le soir, j’étais plongé dans l’impossibilité de dialoguer jusqu’au lendemain matin. De même lors des longs week end je restais deux jours sans pouvoir prononcer un seul mot, si ce n’est que lorsque je me rendais à Rallye pour y faire mes courses lors de mon passage aux caisses. ‘Pourrais-je avoir quelques sacs supplémentaires’, c’étaient les seuls mots prononcés du week end.
Dès le début de la seconde semaine de Juillet je prenais contact téléphoniquement avec les ‘heureuses candidates sélectionnées’ pour fixer des rendez vous que je fixais en soirée façon de combler le vide de mes longues soirées. Cette démarche était particulièrement angoissante. Il fallait se rendre en des lieux que je ne connaissais pas forcément, et il y avait fréquemment de longues minutes à attendre : c’était ce que l’on dénommait ici en Bretagne ‘Le quart d’heure Breton’. Certaines ne daignèrent même pas se rendre au rendez vous qu’elle avait elle-même fixée. C’était étrange comme comportement. D’autres fois dès le premier contact je savais que cela était sans suite. Il fallait, alors, se donner une contenance pour ne rien laisser paraître ; c’était exténuant moralement. L’une d’entre elle me fixa un rendez vous à Plabennec devant le siège de la Fédération. C’était une bien étrange coïncidence. Le rendez vous avait été fixé le vendredi 11 Juillet à 17 heures. C’était vraiment une chance extraordinaire car le personnel quittait la fédération en fin de semaine dès seize heures.
C’est ainsi que je fis connaissance de Marie Thérèse ; elle était professeur d’anglais et venait juste de se séparer de son mari, qui était lui-même professeur à Quimper dans la discipline chère à Descartes. C’est au hasard de ses recherches pour retrouver un poste d’enseignante qu’elle avait pût trouver un petit pavillon dans la périphérie de Plabennec proche de l’école privée qui avait accepté sa candidature. Son parcours chaotique m’avait quelque part sensibilisé et nous décidions de nous revoir. Par la suite j’appris qu’elle avait un frère qui exerçait la médecine générale à Milizac une petite commune qui se trouvait à quelques kilomètres de Plabennec. C’est elle qui me fit découvrir les spécialités bretonnes comme le Kig ar Fartz. Un plat typiquement breton à mi chemin entre le pot au feu et le couscous. Mais je ne pouvais envisager sérieusement une relation durable avec Marie Thérèse. Ses enfants étaient en bas âge et je n’avais plus la force de me lancer dans une nouvelle relation de ce type.
Vers le quinze Août, Marie Mich manifesta le souhait de venir passer quelques jours en Bretagne. Cette nouvelle me redonna du courage, et je n’hésitais pas un seul instant à laisser Marie Thérèse passer seule ce long week end de l’Assomption. Nous avions ainsi quatre journées à passer ensemble. Subitement la vie revenait comme du temps de nos ballades le long des sentiers du Poitou. Marie Mich organisa des randonnées dont elle avait toujours eu le secret. On alla, je me souviens, faire une longue ballade dans une forêt de pins qui se situe en contre bas de la voie express longeant l’Elorn. Ce fleuve breton qui prend sa source au NNE du Tuchenn Kador dans les Monts d’Arrée et qui se jette dans la rade de Brest. Malgré la pluie qui s’était mise à tomber, je retrouvais cette ambiance indéfinissable que j’avais ressenti tant de fois dans nos flâneries le long du Clain ou d’ailleurs. Ainsi durant quelques heures c’était une renaissance. Par la suite je ne voulus jamais retourner sur ces sentiers bretons que nous avions foulés ensemble. C’était une sorte de sacralisation d’un souvenir chargé de joie et de chagrin. Mais le week end s’acheva et Marie Mich repris la route du Poitou, c’était un nouveau déchirement qui venait m’assaillir.
Je restais plongé plus d’une semaine dans une sorte de torpeur lorsque Marie Thérèse se manifesta pour m’arracher de la solitude dans laquelle je me retranchais. Maintenant l’automne arrivait à grand pas avec l’époque de l’assemblée générale de la Fédération qui devait se dérouler à Quimper. Elle m’accompagna à cette importante manifestation : ma première AG, cela devait être une réussite. Malgré ses efforts, je sentais que la dépression prenait le pas sur moi, j’avais tout juste la force de m’accrocher à mes nouvelles fonctions ; mais je n’avais plus le cœur à fonder une nouvelle fois quelque chose de durable avec une femme ayant des enfants en bas âges. Alors que les fêtes de la Toussaint approchaient on se revit une dernière fois à son domicile de Plabennec marquant ainsi la fin de cette rencontre quelque peu anachronique.
Le 11 Novembre qui tombait un Mardi permit à Marie Mich de faire le pont pour me rendre visite en Bretagne. L’arrière saison était magnifique : ‘L’été indien breton’. On alla se balader du côté de Perros Guirec, la côte de granit rose. C’était splendide à voir mais une tristesse indéfinissable m’envahissait ; bien que Marie Mich soit là présente à mes côtés, une seule idée obsessionnelle venait m’obséder : ‘Elle va devoir repartir’. Cette seule idée me paralysait venant m’empêcher de partager ces instants inoubliables. Marie Mich n’en su jamais rien. Je la revois encore marcher seule sur une langue de sable reliant la côte à un petit îlet quelque part sur la côte de granit rose. C’était au soleil couchant, le spectacle était grandiose et je sentais que la vie m'ôtait un être cher.
Sur les chemins de la Dualité :

Mon arrivée en Bretagne s’était caractérisée une nouvelle fois par une perte de repères portant ainsi la marque étrange de mon destin. Confusément je ressentais une désagrégation de mes pensées, une sorte de malédiction m’empêchant de m’adapter à ce réel qui devenait de plus en plus cruel. En cette fin d’automne 1986, Marie Mich une nouvelle fois repartait vers son Poitou, de mon côté je me retrouvais à Pen Ar Bed là au bout de la terre en exil loin de toutes mes attaches affectives et dans l’impossibilité de communiquer avec quiconque afin de redonner du sens à la vie. Pourtant il restait en moi une volonté désespérée de survivre, de vaincre cette adversité qui semblait vouloir s’acharner contre moi. C’est ainsi que je renouvelais l’opération du Pub Hebdo en pensant cette fois que la providence me serait plus favorable.
Je ne sais plus combien je reçu de réponses, seulement quelques lettres semblaient devoir retenir mon attention. Sans grande conviction je contactais une de ces personnes. C’est ainsi qu’un samedi de fin novembre j’obtenais un rendez vous qui fut fixé par mon interlocutrice place de Strasbourg. Le lieu était loin d’être original, mais il présentait l’avantage de se situer à quelques centaines de mètres du 32 rue de Paris. De fait je n’avais pas besoin d’utiliser la voiture et je pouvais ainsi rejoindre aisément mon domicile si le contact s’avérait sans suite. Le rendez vous avait été fixé vers quinze heures, le crachin était de la partie, à cette heure de la journée la place était déserte, il régnait un froid humide qui n’incitait pas à la promenade. En mon for intérieur je pensais ne trouver personne à ce rendez vous quelque peu insolite, pourtant à mon grand étonnement en atteignant la place j’aperçu une silhouette qui attendait à l’angle de la place et de la rue Jean Jaurès où se trouvait à l’époque le concessionnaire Citroën. Je me dirigeais vers cette personne, elle avait un tailleur noir de chez Infinitif lui donnant manifestement une certaine classe. Malgré l’humidité ambiante, elle ne semblait pas en souffrir alors que moi-même je m’étais doté d’une épaisse gabardine que j’avais hérité de ‘Louis Le magnifique’.
Tous les bars de la place étant fermés, je ne savais pas où nous rendre pour discuter un peu. C’est ainsi qu’elle me proposa de nous rendre chez moi y prendre un thé. Bien que la proposition me parue osée, j’acceptais sa suggestion. Ainsi le silence du week end allait pouvoir être interrompu un moment. Quelques minutes plus tard on se retrouvait au 32 rue de Paris à dialoguer autour d’une tasse de thé. Jacqueline était enseignante en économie auprès des élèves préparant à l’époque le Bac ‘G’ au lycée de Kérichen. Elle avait été mariée à un professeur de Français, de l’union était né un garçon dont la garde avait été confiée au père. Cela me surpris, elle me confia qu’il était préférable que ce soit son ex mari qui s’occupe de l’éducation de leur fils ; sa crainte étant de ne pouvoir y parvenir. Cet argument me paru surprenant de la part d’une enseignante. Une grande partie de l’après midi s’écoula à échanger sur nos vies respectives, la nuit commençant à tomber il fallait songer à mettre fin à cette conversation. A mon grand étonnement elle me proposa de l’accompagner chez elle pour diner en compagnie de son fils Nicolas qui lui rendait visite chaque dimanche soir. Un peu surpris par sa proposition inattendue ; je me retrouvais, quelques minutes plus tard, au volant de ma voiture pour la reconduire à son domicile du Relecq Ker Huon. A mon insu je m’engageais dans un long processus dualiste qui faillit m’anéantir.
Manifestement, je devais exercer une certaine attirance physique que je ne suis jamais parvenu à élucider. Mais c’est ce qui se passa pourtant sans que j’aie eu recherché, un seul instant, à la séduire. Depuis près de deux ans j’étais sous Tégrétol, cela m’avait été prescrit par un médecin généraliste de Poitiers pour m’aider à lutter contre la dépression dans laquelle j’avais sombré lors de mes incessantes navettes entre Poitiers-Vendôme. En fait Tégrétol constituée par la molécule de Carbamazépine était beaucoup plus adaptée aux dépressions à caractère bipolaire. Il s’avéra que ce fut, à l’époque, une erreur de diagnostic .Jacqueline voulu que j’arrête à prendre cette substance qui selon elle était dorénavant devenue inutile. Le sevrage brutal me fit sombrer dans un vide sans fond dont j’eu les plus grandes peines à remonter. Malgré la naissance de cette relation, je ressentais toujours cette impérieuse nécessité de me rendre périodiquement en Poitou pour y rencontrer Marie Mich dont l’absence me faisait cruellement souffrir. Le processus dualiste venait de s’initialiser. Ainsi tous les quinze jours je me lançais sur la route dès le vendredi soir pour rejoindre Poitiers. J’allais, tel Don Quichotte, à la rencontre d’une époque disparue mais dont je voulais conserver le souvenir. Ainsi dans cette démarche désespérée ne faut-il pas y voir la répétition originelle : celle de vouloir sauvegarder le souvenir des ‘Glamorous Fifties’ ? Aujourd’hui, avec le recul du temps, je pense que cette hypothèse est la plus vraisemblable pour tenter d’expliquer cet étrange dualisme qui s’abattit sur moi jusqu’en Mai 1987.
Peu à peu, je finissais à m’adapter à cette région qui était devenue par la force des choses mon seul lieu de subsistance. De fait ma relation avec Jacqueline fut peu à peu perçue comme une trahison à l’encontre de Marie Mich. Cela me devint rapidement insupportable à l’esprit. J’appris pourtant ultérieurement, que des contacts avaient été secrètement établis entre elles. Jacqueline lors d’une de mes absences à Poitiers avait fouillé dans mes dossiers personnels, ainsi elle avait trouvé ses coordonnées téléphoniques. Marie Mich lui aurait alors décrit la nature exacte de nos rapports qui n'étaient pas d'essence à déclencher sa jalousie. Le premier Juin 1987, néanmoins, je quittais Jacqueline pour m’installer dans un petit appartement de la rue Jean Gosset qui était à proximité de la voie express menant à Morlaix. Cela me placait à un quart d’heure de mon lieu de travail. Malgré un retour vers la solitude, je me trouvais subitement soulagé.
L’Eté Cathare :

Lors de mon séjour en maison de repos au printemps 1984 où je séjournais du côté de Loches, ‘Poupou’ le père de Marie Mich qui connaissait bien mes goûts pour l’histoire m’avait offert un livre sur le catharisme. Cette histoire passionnante m’avait toujours donné envie de visiter l’Occitanie constituée par les vicomtés de Toulouse, Béziers, Albi et Carcassonne. Mais jusqu’à présent l’occasion ne s’en été pas présentée. En cette fin de printemps 1987, alors que je venais d’emménager mon nouvel appartement de la rue Jean Gosset, l’idée me vint d’organiser avec Marie Mich des vacances au pays des ‘Parfaits’ comme les dénommait la redoutable inquisition. Cela permettrait, dans mon esprit, d’effacer le douloureux souvenir du précédent été qui avait marqué mon arrivée en Bretagne. Par ailleurs c’était aussi ma façon de rendre un dernier hommage à son père qui avait brutalement disparu deux ans auparavant. Je me revois encore préparer patiemment ce périple pour se rendre sur les hauts lieux du Catharisme et d’en visiter les châteaux les plus célèbres. La fin juin arriva, tous les détails du déroulement de ce voyage étaient parfaitement au point. Ainsi le vendredi 3 Juillet 1987 dès seize heures je m’élançais une nouvelle fois sur la voie express pour me rendre à Poitiers. Toutes les souffrances de ces derniers mois s’étaient subitement évanouies, à mon tour je voulais donner à Marie Mich des souvenirs comme elle avait su me faire partager lors de nos ballades au pays de Pantagruel et Gargantua. Sans le savoir je l’invitais à connaître de l’intérieur une religion dualiste chrétienne de l’époque médiévale. Je voulais lui faire connaitre ce drame des Parfaits qui furent brûlés pour héréticité et condamnés par le IVème Concile du Latran en 1215. Mais ce qui importait le plus en cette heure, c’était de retrouver les chemins de la liberté, le temps de la rêverie et des flâneries sous les hospices du Catharisme.
Albi la rouge, fut notre première étape de notre périple. Avec sa cathédrale en briques la ville est le symbole de la célèbre croisade des Albigeois menée dès 1208 par les armées du Roi de France sous la conduite de Simon de Montfort. En fait ce courant de la chrétienté remettait en cause l’autorité Papale. Il fallait donc combattre ces Parfaits que l’on taxait d’hérétiques ; pour le Roi de France l’hérésie constituait un prétexte permettant d’agrandir le royaume à bon compte. Le ‘Consolament’ était le baptême des cathares, il constituait selon l’inquisition la base de l’hérésie. En fait c’était cette cérémonie qui par l’imposition des mains était de nature à remettre en cause la hiérarchie religieuse. C’était une hérésie inacceptable qu’il fallait donc combattre.
Montségur située sur un piton rocheux à plus de 1200 mètres d’altitude au milieu des forêts de l’actuel département de L’Ariège fut le dernier refuge des hérétiques que l’on alla visiter. C’est en ce lieu isolé où le 16 Mars 1244 que quelques deux cent hérétiques se jetèrent dans les flammes du bûcher pour ne pas renoncer à leur foi. On entra dans cette forteresse en forme de sarcophage qui s’achève dans sa partie ‘Est’ par une chapelle où à travers d’une fléchière les rayons du soleil le jour du solstice d’été viennent, selon la légende, éclairer l’autel . Lors de notre passage en Juillet 1987, on ne pût en vérifier l’exactitude, mais on constata toute la difficulté qu’il y avait à gravir le piton qui nécessite une bonne demi heure de marche.
Notre périple nous mena ensuite à Carcassonne la ville aux multiples remparts :’ Carcasse, sonne !’, l’odyssée cathare s’acheva par Minerve où fut érigé le premier bûcher en 1210. C’étaient également les dernières vacances que nous passions ensemble.

Aucun commentaire: