lundi 30 mars 2009

Le Macrocosme: Le Supplice de Sisyphe



Karine et Myriam avec ma soeur Anne sur le balcon à la résidence du Lycée à Marseille dans le 10ème arrondissement.

Le Départ :

En cette fin Janvier 1971, je préparais activement mon départ pour la région parisienne afin d’y prendre mes fonctions dès le 1er Février. Les bureaux de l’organisme se situaient dans le premier arrondissement de la capitale à la rue Saint Roch non loin du métro des Tuileries. Ne connaissant nullement le réseau métropolitain, j’avais acheté ‘Le Taride’ ce petit livre rouge bien connu des provinciaux lorsqu’ils se rendaient à Paris. En étudiant ce précieux ouvrage j’avais étudié mon itinéraire pour me rendre à mon lieu de travail.
En tant que banlieusard je devais prendre mon train dans la nouvelle gare du Val d’Argenteuil qui me faisait arriver en gare Saint Lazare. Je devais alors emprunter la ligne 12 qui reliait à l’époque la Porte de la Chapelle à la Mairie d’Issy. Après quelques stations, je devais effectuer un changement à Concorde pour prendre la célèbre ligne Vincennes Neuilly dont les rames étaient montées sur pneumatiques et descendre une station plus loin : aux Tuileries.
L’appartement que nous avions réservé lors de notre courte incursion dans le macrocosme, au 7 Place Alessandria au Val d’Argenteuil, était entièrement vide. Dans ces conditions j’étais dans l’obligation de recourir à notre matériel de camping pour me permettre d’avoir un confort minimum en attendant l’arrivée de nos meubles.
Mireille avait donc reçu la délicate mission de louer son appartement de la Résidence du Lycée avant d’organiser le déménagement pour l’appartement du Val D’Oise. Ne disposant pas du téléphone, ce n’était donc pas de nature à faciliter nos communications. Mon seul recours était de pouvoir utiliser le téléphone professionnel pour contacter mon frère Marc qui occupait l’appartement de Mémé à la rue Thiers. Fallait-il encore qu’il soit à la maison pour le joindre car à l’époque les répondeurs n’existaient pas encore.
Ainsi dans la journée du Samedi 30 Janvier 1971, j’attelai notre petite remorque à la voiture que j’avais garée devant notre immeuble. La table de camping, deux chaises pliantes, un lit de camp, le réchaud à gaz avec la vaisselle de camping furent méthodiquement rangés, le coffre de la voiture fut rempli par les valises me permettant d’emporter tous mes vêtements et différents ustensiles pour me permettre de repasser mes chemises et mes pantalons. Tout avait été pensé et organisé pour que je puisse vivre durant plusieurs semaines en parfaite autonomie. Cela me rappelait étrangement lorsque ‘Louis Le Magnifique’ me confiait la mission de préparer les départs en vacances pour ‘Les Maurettes’ du temps de Nathela. Mais cette fois ci le contexte était différent, c’était les préparatifs pour l’exil.
Dans le courant de l’après midi tout était paré pour ce grand départ, j’avais toutes les peines du monde à cacher le chagrin qui commençait à me gagner. Pourtant, il fallait ne rien montrer aux petites qui ne réalisaient pas que nous allions bientôt quitter la Provence cette terre de mon enfance et où j’avais tellement espéré y faire ma carrière dans cette grande métropole qu’était encore Marseille malgré la perte de l’empire.
Une dernière fois je pris le repas familial du soir, de ma chaise je regardai le scintillement des lumières de la ville se profilant au travers des rideaux du séjour. La statue de la Bonne Mère se détachant dans le ciel d’encre de la nuit. Les filles étaient silencieuses et devaient ressentir que quelque chose d’important était en train de se dérouler. A la fin du repas je les accompagnais jusqu’à leur chambre, c’est dans ces conditions que je quittais ce lieu de vie que nous occupions seulement depuis quelques mois .
Route de Nuit :

Alors que les enfants s’étaient endormies, il fallait se résoudre à prendre la route. Une longue nuit m’attendait. Il était 21 heures lorsque Mireille m’accompagna jusqu’à la voiture. L’air vif de la nuit me surpris, pas une seule voiture en cette soirée venait perturber le silence qui planait sur le quartier. Je sortis lentement de la Résidence du Lycée, je voulais en ces instants ne rien oublier, je rejoignis le Boulevard Romain Rolland qui était également désert. Je dépassais le carrefour de Dromel, à cette époque le métro n’existait pas encore, et je m’engageais alors sur le boulevard de Schlœsing qui constitue le début du Jarret. Les boulevards se succédaient les uns aux autres : Jean Moulin, Sakakini, Françoise Duparc, Maréchal Juin, Avenue Alexandre Fleming et enfin le Boulevard de Plombières qui avait été récemment mis en surélévation pour aboutir à cette autoroute Nord que j’avais si souvent empruntée lorsque je descendais de Tallard dès les années ‘cinquante’.
Il devait être 21H30 lorsque je me retrouvais sur cet axe routier qui était à l’époque encore éclairé par des lampes au sodium diffusant une étrange lumière jaunâtre. Pas un seul véhicule ne se trouvait sur cette pénétrante de la métropole phocéenne désertée en ce début de week end hivernal. A cette heure de la soirée la route de l’exil se dressait devant moi : 750 kilomètres étaient à franchir pour atteindre le périphérique de la Capitale. Peu à peu les lueurs de la ville s’estompèrent, l’Hôpital Nord dont je regardais une dernière fois les lumières qui projetaient des scintillements sur les collines sombres en direction de Septèmes les Vallons. Elles constituaient les dernières lumières importantes de la ville et j’étais loin de me douter que près de quarante ans plus tard je viendrais régulièrement en ces lieux pour y subir des séances de chimiothérapie à la Gemcitabine. Quelques instants plus tard j’atteignais la bretelle qui se dirigeait vers Aix en Provence que je laissai de côté pour la première fois afin de m’engager sur le A7. Un long ruban sombre s’étendaient sous l’éclairage de mes phares, Marseille avait subitement disparue dans le vaste trou noir de la nuit. Le lendemain matin dans l’aurore brumeuse de ce Dimanche 31 Janvier 1971 : J’avais rejoins pour longtemps le ‘Macrocosme’.
Alessandria Platz :

A cette heure matinale de ce jour dominical qui clôturait le mois, je me retrouvais sur le périphérique parisien. A l’aide de mon ‘Taride’ je contrôlais ma progression dans le contournement de la Capitale par le nom des portes afin de pouvoir quitter cette autoroute urbaine à la bonne hauteur. C’est à Porte de Clichy que je quittais le périphérique pour me diriger vers Argenteuil. La circulation était quasi inexistante ce qui facilita grandement mon arrivée au Val d’Argenteuil. La gare du Val constituait un excellent point de repère qui me permit d’accéder facilement à l’aire de stationnement de notre immeuble qui se trouvait à une petite centaine de mètres de la gare. A cette heure le quartier semblait désert. Le fond de l’air était froid et humide, cela changeait radicalement du climat méditerranéen et le ciel était chargé de gros nuages lourds auxquels se rajoutait une sorte de soupe à base d’acides divers rejetés par une dizaine de million d’habitants avec leurs voitures, les chauffages urbains et les rejets industriels.
J’entrepris sans grande conviction le déchargement de la remorque de son matériel de camping qui allait constituer mon seul ameublement durant plusieurs semaines. Ne disposant pas du téléphone, je ne pouvais prévenir Mireille de mon arrivée. La matinée fut ainsi consacrée à monter le matériel et mes valises dans cet appartement vide et dépourvu de rideaux.
Celui-ci était constitué par un séjour d’une vingtaine de mètres carrés. La pièce était orientée sud-ouest, disposant d’une large baie vitrée s’ouvrant sur un balcon qui faisait face à un terrain de football nous séparant ainsi de la route et de la ligne SNCF qui reliait Paris à Cormeilles en Parisis. On apercevait également la gare qui se dressait sur des piliers surplombant les rails. C’était une nouvelle gare ultra moderne constituée par des structures alvéolaires en aluminium gris pouvant se confondre avec le ciel par temps de brouillard ou de pluie. La cuisine jouxtait le séjour et accédait aussi sur le balcon constitué en mur plein nous mettant à l’abri des regards. On disposait de ce fait d’une zone en forme de coursive qui nous permettait de faire sécher notre linge par jour de beau temps. A l’opposé dans sa partie nord-est, l’appartement donnait sur la place Alessandria qui était une vaste zone piétonnière qui reliait tout un ensemble d’immeubles abritant en dessous des parkings. Ainsi côté Place, l’appartement se situait au premier étage et au deuxième côté gare. Ce n’était pas sans rappeler la structuration de la maison du 12 rue Souveraine à Tallard dont le deuxième étage se trouvait au rez de chaussée du côté château.
Lors de cette pré installation, je désertai délibérément le côté chambres et j’installai mon matériel de camping dans le séjour. Je déposai mon réchaud à gaz avec la cafetière électrique sur un côté de l’évier de la cuisine. Le lit de camp, la table à repasser, celle pour prendre les repas et deux chaises constituèrent le mobilier de ce séjour qui laissait encore résonner les bruits de pas. Seule la salle de bain qui se trouvait dans la partie ‘nuit’ fut occupée en y déposant mes vêtements dans la petite penderie murale dont elle était dotée. Par ailleurs c’était la seule pièce qui était équipée d’un éclairage mural qui me permettait de faire ma toilette sans difficulté. L’ensemble des autres pièces à l’exception de la cuisine étaient privées de plafonnier, m’obligeant ainsi à faire appel à l’éclairage public. Pour remédier à cet inconvénient j’avais pris soin d’emporter notre lanterne de camping qui fonctionnait au propane, ce qui me permis de prendre mes repas du soir dans des conditions acceptables. C’est dans ces conditions spartiates que je vécu ce mois de Février 1971. Ainsi à plus de 800 kilomètres des miens, privé d’éclairage, de téléphone, de télévision et ne pouvant dialoguer avec personne en dehors du travail je passai de longues heures à attendre que le temps s’écoule.
Seules les soirées en semaine s’écoulaient facilement, car ne disposant pas de machine à laver, je profitais de ces moments pour faire ma petite lessive en lavant mes chemises et sous vêtements ; le temps de confection des repas qui se limitait à réchauffer une boîte de conserve et il était déjà vingt heures. N’ayant pas de transistor pour suivre les informations ou écouter un peu de musique,, je me glissais dès la fin du repas dans mon sac de couchage et je m’endormais aux lueurs des réverbères qui illuminaient le plafond du séjour. Seuls les week end furent interminables et éprouvant. Pour lutter contre la solitude qui m’envahissait dans un silence effrayant, j’essayais de passer le temps en imaginant Mireille, Karine et Myriam là bas à Marseille au pays du soleil.
Rue Saint Roch :

Mon installation de fortune fut achevée dans le courant de l’après midi de ce triste Dimanche 31 Janvier 1971. Le ciel était bas, le temps maussade et le froid ajoutait de la lourdeur à ce dernier jour qui clôturait définitivement ma période estudiantine. Le lendemain une nouvelle ère allait s’ouvrir. Celle du monde du travail dont j’avais une méconnaissance totale. Je décidais de me rendre à la gare pour me renseigner sur les horaires et me procurer mes titres de transport. La gare était déserte, je réalisais subitement que j’allais bientôt me fondre dans la masse de centaines de milliers de banlieusards qui venaient s’entasser dans ces trains pour se rendre à son travail. A l’époque la carte Orange n’existait pas encore, il fallait donc se procurer hebdomadairement sa carte pour se rendre au travail.
Le jour fatidique tant de fois espérée arriva. Ainsi en ce premier février 1971 dès 7h30 je quittais notre appartement pour rejoindre la gare. Celle-ci était noire de monde contrastant ainsi aux quais déserts de la veille. De minute en minute la foule se faisait plus dense et venait s’agglutiner en grappes de façon discontinue le long des quais. Je compris qu’ils devaient se repérer pour se placer devant l’ouverture présumée des portes du prochain train. Etant néophyte en la matière j’observais leurs agissements étranges qui me paraissaient hallucinant.
J’avais environ un petit quart d’heure pour rejoindre Paris. A l’arrivée en gare Saint Lazare j’assistais à un fourmillement gigantesque où les gens partaient dans tous les sens. Cette surpopulation était angoissante, quelle frénésie les avait donc frappés ? Un peu désemparé par une telle ambiance, j’eu quelques difficultés pour trouver l’accès du métro. Il régnait une chaleur suffocante dans ces couloirs voutés qui ne faisait que renforcer la sensation de claustrophobie. Les gens couraient, vous bousculait pour ne pas rater la prochaine rame dont la fréquence de passage était d’environ une minute à cette heure d’affluence. Une sorte d’hystérie collective semblait frapper ces foules. Et dire que par mimétisme j’allais à mon insu devenir comme eux. Après plusieurs hésitations lors de mon changement de ligne à Concorde, je pus rejoindre Les Tuileries vers 9heures moins le quart. Je disposais alors d’une dizaine de minutes pour me repérer et trouver l’adresse de mon lieu de travail figurant sur mon contrat de travail.
Arrivé à hauteur de l’immeuble où se trouvaient les locaux de mon employeur, je ne trouvais pas sa plaque professionnelle. Je commençais à prendre peur, je décidai de m’adresser à un organisme différent mais dont la terminologie semblait avoir un lien avec celui dont je relevais. C’est en montrant l’entête de mon contrat que l’on pu me diriger vers le lieu où je devais me rendre.
J’entrais dans une pièce aux allures austères et dont la fenêtre donnait accès sur l’arrière cour de l’immeuble. Au fond du local un homme d’une cinquantaine d’années se tenait assis derrière un vieux bureau. L’homme un dénommé ‘Vincent’ ne se leva pas pour m’accueillir et faire connaissance. Le ‘tempo’ était ainsi donné. Il me désigna du doigt le bureau qui allait être le mien durant cette première année d’activité professionnelle. Celui-ci faisait face au sien et j’avais la chance de me trouver du côté fenêtre me permettant d’apercevoir le ciel et les rayons de soleil venant frapper la partie supérieure des immeubles environnant. Un troisième bureau situé entre le sien et le mien était utilisé par la secrétaire. Ainsi cet important organisme de la coopérative agricole et SICA avait un effectif de trois équivalent temps plein E.T .P base quarante heure. Le choc fut rude à encaisser sur le coup et surtout ne rien laisser paraître. Mais je n’avais pas le choix, je devais avaler cette couleuvre. La secrétaire arriva quelques minutes plus tard, mais ne semblait nullement gênée d’avoir déjà en début de semaine du retard. ‘Vincent’ semblait résigné et ne lui fit aucune remarque.
Lors de mon audition de mi janvier à l’avenue de Wagram, il m’avait été spécifié que mon recrutement s’effectuait dans la perspective de succéder à ‘Vincent’ qui devait prochainement faire valoir ses droits à la retraite. Celle-ci étant fixée à cette époque byzantine du secteur coopératif à cinquante cinq ans ! Le Secrétaire Général du syndicat qui dirigeait une importante unité de production à Bassens en Gironde m’avait précisé que j’étais placé directement sous son autorité et que de ce fait je n’avais d’ordre à recevoir de ‘Vincent’ lequel ipso facto était sur le même niveau hiérarchique que moi alors qu’il cumulait trente années d’expérience professionnelle. C’était surprenant, mais par ce biais je faisais une entrée fracassante dans les méandres de la vie professionnelle et des jeux de pouvoir. Je subodorai qu’une telle situation reflétait des querelles anciennes ou tout simplement que le sieur ‘Vincent ‘ avait commis le délit de sale gueule. Il était donc logique qu’il ne me donne aucune instruction particulière. Sa position était tout à fait cohérente, mais cela me mettait mal à l’aise, d’autant que ‘Robert’ le Secrétaire Général ne se manifesta nullement au téléphone pour me donner des instructions pour faciliter ma prise de fonction. C’était déroutant de débuter sa carrière en n’ayant rien à faire de précis. Je ne comprenais pas ce milieu professionnel. Il fallait donc improviser pour éviter l’ennui.
C’est la secrétaire qui me fit remplir les différents formulaires administratifs de la mutualité sociale agricole : La MSA dont j’allais relever dorénavant. Je ne su pour quelle raison mais cela me déplaisait de quitter le régime général où j’avais été affilié en tant qu’étudiant. Dans les jours qui suivirent, je fis la connaissance de personnes appartenant à l’organisme qui m’avait dirigé vers mon lieu de travail lors de ma prise de fonction. J’appris ultérieurement que cette Fédération de la coopérative agricole regroupait en fait un ensemble de syndicats des personnels employés techniciens agents de maîtrise : les ETAM du secteur de la coopérative agricole. Ma position au sein du syndicat des Directeurs de coopératives agricoles m’amena par la suite à participer aux négociations paritaires avec leurs représentants. Je faisais mon entrée dans le paritarisme syndical un monde qui m’était totalement inconnu et dont la logique économique me semblait faire cruellement défaut.
Dans cette logique des choses on me sollicita pour que je prenne en charge la gestion des documents sociaux à établir trimestriellement pour la MSA et L’AG2R au titre des régimes complémentaires. Trop heureux d’avoir une activité me permettant de m’occuper l’esprit, j’acceptais cette offre avec empressement. C’était aussi pour moi une opportunité d’acquérir une compétence en matière de gestion du personnel pouvant à terme me servir dans le déroulement de ma carrière. Bien que cette proposition, qui ne relevait pas d’un ordre du Secrétaire Général, je compris que mon acceptation permettait à la Fédération de redéployer ses effectifs pour soutenir leurs sections syndicales dans les coopératives. Sans le savoir je faisais leurs jeux, mais moi aussi j’étais personnellement gagnant.
La partie essentielle de mon job, me fut expliquée lors de la réunion du bureau qui se déroula dans la deuxième quinzaine du mois à l’avenue de Wagram au siège de La Coopérative Agricole dont le Directeur Général était Jack Lequertier, lui-même trésorier du syndicat des Directeurs dont je relevais. J’avais ainsi la charge de faire vivre les instances statutaires : Préparation, Organisation et convocations des instances en applications des directives données par le Secrétaire Général ou d’un membre du Bureau. Sur un autre plan je devais procéder aux études économiques pour la préparation des négociations paritaires : accords de branche et avenants aux grilles des salaires minimas conventionnel avec la Fédération des ETAM et la Confédération Générale Agricole dont le siège était rue des Pyramides non loin de la rue Saint Roch. Ce poste en lui-même pouvait à terme servir d’un excellent tremplin professionnel, mais à l’époque mon manque d’expérience professionnelle ne me fit pas entrevoir ces possibilités d’évolution. Ce qui me choquait était souvent ce double discours auquel j’avais du mal à m’adapter, mais cela était inhérent au secteur associatif qui ne recherche pas l’optimisation des ressources comme le veut la logique d’entreprise. Il y avait donc un hiatus entre les valeurs que l’on m’avait enseignées à Aix en Provence et ce monde du syndicalisme qu’il soit patronal ou salarial.
Peu à peu je m’adaptais à ce nouveau rythme de vie si différent de celui que j’avais pu connaître tant avec le commerce de mes grands parents à la rue Thiers dans la ville phocéenne, ou de l’activité de médecin libéral menée par ‘Louis Le Magnifique’ à Tallard dans les hautes Alpes. J’entrai dans un univers qui m’était totalement inconnu.
Près d’un mois s’était écoulé depuis mon arrivée en région parisienne et je n’avais aucune nouvelle de Mireille et des enfants. Je décidai alors de téléphoner à Marc que j’eu la chance de contacter rue Thiers alors qu’il était sur le point de se rendre à la Faculté de Médecine. Il reçu la délicate mission de faire le point avec Mireille et éventuellement la conseiller pour la location de son appartement et la réservation d’une entreprise de déménagement. Dans la semaine qui suivi Marc m’avisa qu’il avait fait prendre à Mireille ’le taureau par les cornes’. Effectivement il s’en suivi un courrier par lequel elle m’avisait qu’un locataire de la Résidence du Lycée venait de signer son bail de location. Mireille m’indiquait que l’emménagement au Val d’Argenteuil était fixé au premier samedi de Mars. C’était la meilleur nouvelle.
Gare de Lyon :

Cinq longues semaines s’étaient déjà écoulées depuis mon départ de la ville phocéenne, le Samedi 6 Mars allait enfin marquer l’arrivée de Mireille et des enfants. Le train de nuit arriva en gare de Lyon à 7h30. J’avais hâte de revoir leurs silhouettes. Le quai était noir de monde, ne connaissant pas le numéro du wagon, il m’était difficile de me positionner sur le quai afin de repérer à quelle hauteur elles descendraient du train. Mais dans tout ce tumulte, je pus les repérer assez facilement. Je me souviens encore, Mireille portait un manteau vert bouteille qui lui arrivait à mi mollet. C’était l’époque du long faisant suite à la mode du ‘mini-mini’. Karine et Myriam emmitouflées sous de gros bonnets de laine se tenaient toutes deux par la main. Ce long trajet de nuit les avait fatiguées et on se dirigea en toute hâte vers le bar de la gare pour y prendre un bon chocolat chaud avec des croissants croustillants afin de les réchauffer un peu. Je les regardais prendre ce petit ‘dej’ avec plaisir mais j’appréhendais cette journée, car notre mobilier à cette heure se trouvait quelque part sur la nationale six. Il fallait donc passer une journée entière dans un appartement vide à attendre les déménageurs dont l’arrivée était prévue seulement dans le courant de l’après midi.
L’après midi s’était en grande partie écoulée, le soleil commençait déjà à décliner et les déménageurs n’étaient pas encore arrivés. La situation devenait préoccupante. Vers dix sept heures, ces derniers arrivèrent il fallait faire vite afin de ne pas être surpris par la tombée de la nuit en effet n’ayant pas d’éclairage au plafond, il fallait attendre que nos lampes fussent sortis de leurs cartons pour arriver à s’éclairer afin de se repérer dans tout ce capharnaüm. Deux heures plus tard l’opération ‘Cross Bow’ prenait fin nous laissant dans un désordre indescriptible. Mais l’essentiel était accompli, on fit dîner les filles à la fortune du pot et elles purent se coucher dans leur chambre qui était la seule pièce où l’on avait pu faire de l’ordre. Le lendemain je passais la journée dominicale à ranger notre appartement qui prit forme tard dans la soirée. Le week end s’achevait, nous étions fourbus mais satisfait de nous retrouver enfin chez nous là dans le macrocosme……

Métro, Boulot…. :

Notre emménagement achevé, la vie reprit son cours. Dès le lendemain, Mireille pu réinscrire Karine en maternelle qui se trouvait à proximité. Notre quotidien interrompu durant plusieurs semaines pouvait reprendre son cours, mais cette fois ci il était cadencé par le rythme infernal du ‘Métro, Boulot, Dodo’. Par là même nous avions rejoint ce ballet perpétuel de millions de banlieusards que nous étions subitement devenus. Nous entrions dans le monde de la vie professionnelle au cœur d’une contrée radicalement différente de la nôtre. Ne connaissant personne, ceci contribua à renforcer notre isolement, et tous les ingrédients se trouvaient réunis dans un cocktail explosif pour que nos différences soient exacerbées.
Mireille se rendait parfois à Paris pour aller flâner dans les grands magasins du Printemps et des Galeries Lafayette qui étaient à deux pas de la gare Saint Lazare. Mais lorsqu’elle entrait le soir, elle se plaignait souvent d’avoir mal aux yeux. Attribuant cela à la pollution atmosphérique, j’essayais de la rassurer ainsi. De mon côté je fus rapidement sujet à des brûlures d’estomac qui étaient d’origine nerveuse. Tous les traitements qui me furent prescrit étaient souvent sans effets. Ainsi chacun de nous s’enfonçait un peu plus chaque jour dans un état dépressif endémique.
En ce début de carrière professionnelle ayant à charge deux enfants nous étions confrontés à des besoins d’équipements importants qui étaient amplifiés par la puissance persuasive des médias. Toutes les dépenses inutiles, pourtant, étaient passées au crible et supprimées. Ainsi ne bénéficiant pas de tickets restaurant, Mireille me préparait pour le repas de midi un petit sandwich m’évitant d’aller prendre un repas au restaurant. Mon repas achevé dès midi un quart, je disposais d’une heure de temps libre que je mettais à profit pour partir en reconnaissance du côté de l’avenue de L’Opéra, ou dans la rue de Rivoli en direction du Chatelet. C’était encore l’époque où le ministère des finances se trouvait dans le centre de la capitale et administré par un certain Valéry Giscard D’Estaing alors ministre du Général de Gaulle. Souvent je me rendais à la Samaritaine ce magasin aux traditions séculaires : ‘On trouve tout à la Samaritaine’ comme le scandait déjà les ‘pubs’ de l’époque. C’est dans un de ces magasins que j’achetais chaque mois un peu de vaisselle pour se constituer un petit service pour améliorer la présentation de notre table. Le week end arrivé, nous allions faire les courses pour la semaine. Seul le Dimanche constituait notre jour de repos que nous consacrions à écouter nos disques préférés de l’époque : ‘Lady d’Arbanville’ de Cat Stevens ce fameux chanteur qui se convertissait à l’islam quelques années plus tard. Ou encore les quatre saisons de Vivaldi. Installés dans le salon, Mireille profitait de ces moments de détente pour faire de la couture alors que les filles jouaient tranquillement dans leur chambre.
Notre appartement quoique confortable et fonctionnel subissait la maladie parisienne du manque d’espace. Ainsi on décida d’acheter une nouvelle chambre pour les filles qui était constituée par deux lits escamotables séparés par une colonne de rangement où elles pouvaient ranger leurs poupées. Une fois les lits repliés dans leur alvéole de rangement, elles disposaient d’un espace plus conséquent pour se livrer à leurs jeux favoris. Mais tous nos efforts pour rechercher à améliorer notre cadre de vie ne fut jamais visité par nos familles respectives. Louis Le Magnifique retranché dans les Alpes était trop préoccupé à reconstruire une nouvelle dynastie qui ouvrait l’ère du Bas Empire : ‘La dynastie Malcorienne ‘ qui a été décrite à l’article 23. La mère de Mireille détestait trop la ville pour venir se perdre dans cette mégapole parisienne pour venir nous tenir un peu compagnie. Elle préférait se rendre en Algérie aux portes du désert saharien dont elle avait fait son lieu de prédilection. Quant à mon Beau père qui habitait encore Nîmes, il était accaparé par le parti communiste au sein duquel il militait activement avec son amie Madeleine. Seule sa sœur Sylvie qui habitait le quatorzième arrondissement nous rendit visite une ou deux fois. Cet isolement familial ne fit que renforcer notre sentiment d’exil.
Lunéville :

Le printemps arrivant, celui-ci marquait la période des assemblées générales qui s’effectuent chaque année pour clôturer l’exercice de l’année précédente avant le départ de la période estivale. Celle du Syndicat des Directeurs de Coopératives agricoles et SICA fut programmée dans le courant du mois de Mai et son déroulement fut fixé à Lunéville. Cette ville frontière de la Lorraine connu, après la défaite de Sedans en 1870 un important afflux d’alsaciens ou mosellans qui refusèrent de devenir allemands après le traité de Francfort signé en 1871. Elle resta longtemps une importante ville de garnison qui reste aujourd’hui encore connue par sa production de faïence. Pour moi c’était aussi l’occasion de revenir dans cette région que j’avais connue lors de ma deuxième année d’études en sciences économiques effectuée à Strasbourg durant l’année universitaire 1967-68. Avec mon collègue de travail ‘Vincent’ on prit le train en soirée à la gare de l’Est. C’était mon premier déplacement professionnel. Le rapide Paris Strasbourg nous faisait arriver à destination vers vingt deux heures après quelque quatre heures de voyage. On prit place dans le compartiment des premières classes où l’on pouvait prendre son diner sur place. C’était aussi une découverte que de diner ainsi dans ce rapide dont le taux de remplissage était à 80% constitué par des hommes d’affaires.
C’était encore la période faste de la SNCF. Les tables luxueusement dressées avec nappes blanches et lumières individualisées sur chaque table donnaient un sentiment de confort incontestable. Le repas fut servi par un personnel stylé : Veste blanche et nœuds papillon, cela me rappelait un peu les barmen du ‘Sans Pareil’ des années ‘cinquante’ quelque part sur la Canebière à Marseille. J’étais surpris par une telle opulence à laquelle mon collègue ‘Vincent’ semblait habitué et presque ‘blazé’.Je fus entièrement horrifié du prix qui nous fut demandé, je ne savais pas comment faire pour régler la part qui m’incombait. ‘Vincent’ me rassura en m’indiquant que le repas était prit en charges par le syndicat dans le cadre des frais professionnels. Je prenais subitement conscience des motifs qui amenaient mon collègue à se déplacer si fréquemment. Je mesurais aussi ce vaste marché qui se présentait à la compagnie nationale, ainsi qu’à l’industrie hôtelière dont les chiffres d’affaires étaient principalement alimentés par les frais généraux des entreprises. Je compris alors le sens du propos tenu par un de mes professeurs d’économie politique : ‘Il faut maîtriser les frais généraux des entreprises, si l’on veut maîtriser le taux d’inflation’. Ce concept abstrait prenait subitement tout son sens. Je prenais conscience également que je venais d’entrer, malgré moi, dans une caste de privilégiés. C’était aussi pour les dirigeants d’entreprises un moyen d’asservir leurs collaborateurs cadres. Ce système pervers était source d’inflation et de discrimination sociale. En effet quelle famille ayant deux enfants aurait pu s’offrir une telle dépense pour un repas pris en train ? Seuls quelques rares privilégiés auraient pu le faire. Par ailleurs une telle pratique contribuait à fausser le jeu de la concurrence puisque les frais étaient supportés par l’entreprise et non le consommateur lui-même qui n’était pas gêné par des prix prohibitifs. Seul le remboursement de la note était son seul soucis.
Arrivés en gare de Lunéville, un taxi nous permit à cette heure tardive de rejoindre notre hôtel. Dans les salons de l’hôtel déjà plusieurs directeurs s’étaient réunis autour d’une coupe de champagne en regardant distraitement un match de foot. On nous convia à les rejoindre. Difficile dans ces conditions de refuser pour regagner sa chambre et se reposer un peu. Ainsi aux alentours de minuit, je me retrouvais assis avec ces quinquagénaires à boire du champagne. Pour ces responsables de coopératives agro-alimentaires, je n’étais qu’un gamin certes diplômé mais qui restait un néophyte sur les contraintes de la vie professionnelle. Ma présence parmi eux avait, je le savais par ailleurs, valeur de test. La soirée s’éternisait en longueur et je ne pus rejoindre ma chambre que tard dans la nuit. Il me restait tout juste trois à quatre heures de sommeil pour affronter la journée du lendemain où je devais m’exprimer devant un auditoire d’une centaine de personnes.
Au petit matin alors que l’aube commençait à se lever je fus réveillé par des maux de cœur qui me firent rendre le repas de la veille. Mon foie n’avait pas supporté les excès de champagne ainsi que les odeurs âcres des cigares. Je sombrais alors dans un profond sommeil réparateur qui fut subitement interrompu par des frappements sourds sur la porte de ma chambre. Il était 8h30 et le Secrétaire général ne m’ayant pas vu descendre prendre mon déjeuner venait prendre de mes nouvelles. Confus ‘d’être pris en flagrant délit’, je lui expliquais que j’avais été malade. Je lui demandais de reporter mon intervention en début d’après midi, ce qu’il accepta.
En fin de matinée je pus rejoindre le déroulement de l’assemblée générale dont les travaux avaient débutés vers dix heures. Affaibli par les vomissements successifs de la nuit, j’étais envahi par un tract terrible à l’idée de m’adresser à un si vaste auditoire. Le temps du repas me laissa un temps de répit. La diète que je m’étais imposée me fut bénéfique, ce qui me permis de revoir mes notes afin d’affiner mon intervention. L’heure redoutée arriva. Le tract me nouait la gorge, mais je connaissais assez mon sujet pour me libérer du texte. Peu à peu je sentais ma respiration se libérer, mes phrases devenaient plus ponctuées. Après une intervention d’une dizaine de minutes je fus remercié par une vague d’applaudissements chaleureux. Mon baptême du feu était donc concluant.
La réunion s’acheva vers seize heures. Afin de rejoindre plus rapidement la capitale un directeur nous amena, avec Le Secrétaire Général et ‘Vincent’, jusqu’à Nancy pour emprunter le Strasbourg Paris. Cela nous faisait gagner plus de deux heures pour rejoindre nos domiciles respectifs. Il était un peu plus de vingt heures lorsqu’on arriva à la gare de L’Est. Le Secrétaire Général prit congé pour se diriger vers Orly pour rejoindre Bordeaux, quant à ‘Vincent’ qui habitait rue du Cherche Midi il quitta la gare pédibus jambis. Pour ma part il fallait que je rejoigne la gare Saint Lazare. A cette heure de la soirée la fréquence des rames étant moins dense, je pus rejoindre le Val D’Argenteuil vers vingt deux heures.
Mireille m’attendait patiemment pour prendre ensemble notre repas du soir, à cette heure tardive les petites dormaient déjà depuis longtemps. J’avais du plaisir à rejoindre le domicile familial après une semaine de travail chargée. Dans le mois qui suivit marquant le terme de ma période d’essai, j’étais titularisé dans mes fonctions. Cette dernière était accompagnée d’un réajustement conséquent de mon salaire qui passait de 2000 à 2500 Francs par mois avec quatorze mois de salaire. Difficile à transposer en euros 2009,mais c’était une rémunération intéressante pour un début de carrière. Cette nomination aurait dû me satisfaire, mais il n’en fut rien. Ma titularisation à ce poste était la marque de mon installation durable en région parisienne. L’espoir de revenir en Provence s’éloignait un peu plus.
La Tour Infernale :

En cette première année d’activité professionnelle, je ne pouvais prétendre bénéficier d’une période de congés rémunérés. Dans ces conditions il avait été exclu que nous partions en vacances. L’arrivée de l’automne permis d’effacer cette période qui fut difficile à traverser. Un soir alors que j’empruntais la rue de Rivoli pour rejoindre le métro, j’aperçu au kiosque à journaux l’édition de France Soir qui venait juste de paraître. Le quotidien affichait un article choc : ‘Argenteuil La TOUR Infernale’. Happé par le flot je ne pris pas le temps de m’arrêter pour acheter le journal. J’étais plus pressé à rejoindre Le Val d’Argenteuil où l’explosion semblait s’être produite au sein d’une grande tour ronde qui se trouvait à une centaine de mètres de la place Alessandria. Lorsque j’arrivais à notre appartement, le quartier semblait calme et ne reflétait nullement l’agitation et l’inquiétude que voulait communiquer cet article .J’interrogeais Mireille qui n’était pas au courant de cet accident. Pourtant un sentiment prémonitoire me laissait mal à l’aise.
Dans les semaines qui suivirent, alors que Mireille s’était absentée pour aller faire des courses, je restais à l’appartement avec Karine et Myriam qui jouaient tranquillement dans leur chambre. Le ciel était gris et il régnait un silence étrange qui fut perturbé par le retentissement de la sonnette. C’était un samedi après midi. Qui pouvait à cette heure venir nous voir. Des démarcheurs ? Mireille qui revenait ? Mais pourquoi, alors, sonner puisque elle était en possession des clefs. Devant la persistance des sonneries, je finissais par entrebâiller la porte.
Il s’agissait d’un couple qui devait avoir ‘la quarantaine’, selon leurs dires ils menaient une enquête sur la qualité de vie. Je pensais que la municipalité cherchait à connaître le degré de satisfactions des occupants de ce nouveau quartier aux allures futuristes. C’est donc avec un certain empressement que je les invitais à visiter l’appartement. C’est non sans fierté que je leur montrais la nouvelle chambre des filles. Alors que je continuais à faire visiter l’appartement à ces visiteurs aux allures un peu étranges, Mireille revint des courses. Elle fut surprise de leur présence et échangea avec eux quelques mots alors que j’avais rejoins un instant les enfants dans leur chambre. C’est en rejoignant Mireille, que la femme m’interpella pour me préciser le but réel de cette visite dont manifestement les objectifs me dépassaient. Surpris par cette soudaine interpellation, la femme me pria de quitter l’appartement afin de me parler en dehors de la présence de Mireille qui semblait très absorbée à ce que lui disait l’homme.
C’est ainsi que j’appris sur le pallier de notre domicile que Mireille avait déposée une plainte à mon encontre auprès des services sociaux de le DDASS sur les motifs que j’infligeais à ma famille de vivre dans des conditions inacceptables. J’étais interloqué par ce que je venais d’entendre. La femme me fit immédiatement part que la démarche de Mireille était considérée comme sans fondement et que le dossier était classé sans suite.
C’était le côté irréaliste de Mireille qui l’avait incité à une telle démarche. De son point du vue, lui imposer la vie en région parisienne était un acte indigne de ma part. Peu lui importait si des millions de personnes subissaient ces conditions de vie, pour elle cela était insupportable et je devais donc en assumer la responsabilité. Si dans une certaine mesure je comprenais son analyse, sa démarche prenait subitement un caractère infernal.
Rue de Gramont :

Le syndicat des Directeurs de Coopératives avait pu obtenir, grâce à l’intervention de Jack Lequertier Directeur Général de L’Union Nationale des Coopératives Agricoles : ‘L’UNCAC’, une importante subvention du Ministère de L’Agriculture. Cette dotation, devait permettre d’assurer le financement de la formation des responsables de notre organisation professionnelle. On me confia la mission de gérer ces fonds et plus particulièrement de proposer aux instances un plan de formation qui permettrait aux responsables de mieux assumer leurs missions syndicales dans les diverses négociations tant auprès des ministères qu’avec les organisations représentatives des salariés du secteur.
C’était là un réel chantier qui constituait pour moi un challenge car j’entrais dans une démarche qui m’était totalement inconnue. Le Secrétaire Général me suggéra d’entrer en contact avec la Confédération Générale des Cadres : La CGC qui était présidée à l’époque par le bouillonnant André Malterre. J’étais donc officiellement missionné à mener une opération d’espionnage social. La mission avait en soi un caractère excitant, cela changeait du doux ronron bureaucratique dans lequel Vincent se complaisait quand il venait au siège de la rue Saint Roch.
Un après midi d’Octobre je pris le chemin de la rue de Gramont, alors que je remontais l’Avenue de L’Opéra, je rencontrais ‘Bobonne’ un ami de Faculté d’Aix en Provence. Il m’expliqua rapidement qu’il suivait un stage dans une importante banque nationale. Pour lui c’était intéressant, il me recommandait en nous quittant d’être vigilant sur les offres que pouvez nous proposer les employeurs. Ce fut la dernière fois que je revis ce copain du temps D’Aquae-Sextius.
En arrivant au siège de l’organisation confédérale qui se trouvait à l’angle de la rue de Gramont et du Boulevard des Italiens, je cherchais fébrilement un motif valable pour obtenir les renseignements dont j’avais besoin pour mener à bien mon chantier. Alors que je pénétrais dans le hall de l’immeuble, je repérais les coordonnées de la Fédération des cadres du secteur des industries alimentaires : la FNCA. C’est dans cette organisation qui me semblait proche de la notre que je décidais de mener mes investigations.
La FNCA dont les bureaux se trouvaient au premier étage du 30 rue de Gramont, étaient bien plus modernes que ceux où je travaillais. Cela me fit bonne impression. Je fus reçu par une secrétaire qui me demanda de patienter dans un hall qui pouvait accueillir une dizaine de visiteurs. L’ambiance semblait feutrée, aucun écho de voix ne traversait les cloisons. J’étais un peu impressionné.
Quelques instants plus tard je fus reçu par un certain René Lucchi. Ce nom me rappelait certains accents que j’avais connus du temps du lycée Dominique Vilars. C’était un homme élégant aux accents d’Ajaccio avec quelques intonations d’outre méditerranée, quelque part du côté de Bône ou de Constantine. Il avait la soixantaine et son aspect bienveillant me mettait en confiance. Je me fis passer pour un étudiant préparant une thèse sur les organismes professionnels et syndicaux dans le cadre d’un DES : les ex diplômes d’études supérieures. Je ne sais si l’homme était dupe de ce petit mensonge, mais je pus obtenir toute l’information dont j’avais besoin et cela dépassait même toutes mes espérances. Nos accents respectifs ayant une base commune fit que nous sympathisâmes.
C’est ainsi qu’il me consacra une grande partie de l’après midi, à me narrer la restructuration de cette importante fédération de la CGC qu’il avait effectuée dès son arrivée. Il m’expliqua qu’ancien fondé de pouvoir dans une banque à Constantine, il avait quitté l’Algérie dès 1947, lorsque la France refusa d’accorder aux algériens les mêmes droits à la sécurité sociale sous le prétexte que cela couterait trop cher aux Français. C’était pour lui une erreur politique qui nous fit perdre l’Algérie par les accords d’Evian de 1962. Ce brillant exposé m’avait séduit, sans m’en rendre compte je tombais sous son influence. Manifestement René Lucchi abusait de la naïveté du jeune diplômé en début de carrière, perdu dans cette région parisienne.
Sur un autre plan, sa conception sur le syndicalisme rejoignait celle développée par la Deutscher Gewerkschaftsbund la célèbre DGB allemande ou celle du syndicat du cuivre aux USA qui rachetait le métal pour éviter des effondrements du cours lors de grèves prolongées. Ainsi sa conception moderne du syndicalisme me plaisait. Le syndicat dans la conception anglo saxonne est un partenaire économique à part entière et responsable. Nous étions très loin de notre conception latine et que notre Président actuel Nicolas Sarkozy ne parvient pas, malheureusement, à faire évoluer.
Ainsi durant plusieurs semaines et sur sa pressante invitation, le soir je quittais la rue Saint Roch pour rejoindre la rue de Gramont pour écouter les paroles soporifiques du Sieur René Lucchi. En fait c’était devenu un biais pour échapper à l’ambiance familiale qui était devenue irrespirable depuis le coup de la plainte auprès de la DDASS par Mireille. On se retrouvait ainsi avec le Président Fédéral un certain Raymond Ement qui se trouvait sans emploi et habitant un luxueux appartement de l’avenue de L’Opéra. Alors que les secrétaires de la fédération avaient quittés les bureaux, on se retrouvait dès dix huit heures à trois autour d’une bouteille de whisky à reconstruire le monde qui s’enlisait déjà dans une sorte ‘d’apocalypse molle’. Quand je quittais la rue de Gramont il était déjà plus de vingt heures et il fallait rejoindre le Val d’Argenteuil où j’arrivai rarement avant vingt deux heures.
Mireille m’attendait, les filles étaient déjà couchées depuis longtemps. La table était dressée et joliment décorée avec une bonne bouteille de Chiroubles. Manifestement Mireille cherchait à me faire plaisir pour essayer de réparer cette erreur. Mais il y avait en moi quelque chose de cassé, de brisé. Pourtant je ressentais encore en elle quelque chose de ‘Tennessee’ qui venait accroître ma mélancolie.
Fin novembre je présentais ma démission auprès de mon premier employeur, pour rejoindre la FNCA où je pris mes fonctions le 3 Janvier 1972. Par cette décision je venais de mettre un terme à un éventuel retour
en Provence. L'exil s'installait alors pour une longue durée.
Apocalypse Now :

Onze mois s’étaient écoulés depuis mon arrivée en région parisienne. Cette région que nous avions baptisée Mireille et moi :’Le Macrocosme’. On dénonçait par ce terme le gigantisme des métropoles, l’indifférence humaine qui en découlait. Mais aussi la grisaille du nord, la pollution aux pluies acides perçant les bas nylons. Ce n’était pas encore l’époque de Nicolas Hulot avec ses reportages passionnant avec ‘Ushuaia’ mais c’était un peu de cela dont il s’agissait dans notre esprit.
Mon insertion professionnelle n’avait pas été un modèle de réussite, car la nécessité de trouver rapidement un emploi en raison de nos charges familiales m’avait fait agir sous la pression et dans la précipitation. J’avais conscience que ce mauvais départ m’obligerait à louvoyer dans cette jungle pour tenter d’élaborer un plan de carrière sans pouvoir s’appuyer sur les possibilités qu’offrent la grande entreprise ou les établissements bancaires. Ainsi en ce début d’année 1972, je prends mes nouvelles fonctions qui vont me faire découvrir progressivement la négociation paritaire dans le secteur des industries agricoles et alimentaires : les IAA. Ces dernières se trouvant à l’époque en pleine restructuration avec les fusions et les concentrations que connurent des groupes comme la SOPAD avec Nestlé, ou GDSA avec Danone.
Mon bureau donnait à l’angle de la rue de Gramont et du Boulevard des Italiens. De l’autre côté de la rue se trouvait le bureau de Bloch Lainé, le PDG de l’époque du très important Crédit Lyonnais dont le siège occupait tout un quartier. Ce quadrilatère était délimité par le Boulevard des Italiens, la rue de Gramont, la rue du Quatre Septembre et la rue de Choiseul. La fenêtre de mon bureau surplombait le feu rouge, et j’avais droit à chaque démarrage des bus ou des camions, de subir un bruit infernal faisait trembler les vitres. Cela m’obligeait souvent à interrompre la conversation lorsque je me trouvais à faire du conseil téléphonique aux adhérents de la Fédération. A cette époque peu de fenêtres étaient dotées d’un double vitrage. De fait assurer, dans ces conditions, de la hotline sociale était un peu une gageure qui laissait votre tête bourdonnante en fin de journée. Ma surdité ultérieure est certainement liée à cette époque où je reçu une cure de décibels plus qu’il n’en fallait.
Ce quartier à deux pas de L’Opéra était et reste ‘Le Grand Paris’ avec ses boutiques de luxe comme Lancel, réservées à une clientèle internationale où les japonais avaient supplantés à l’époque les américains. Je découvrais ce monde hallucinant d’un luxe époustouflant que j’aurais eu du mal à concevoir l’existence à Marseille. Bénéficiant dorénavant de tickets restaurant, j’entrepris de tester plusieurs lieux qui se présentaient dans ce quartier renommé. Cela me changeait de mes petits sandwiches de la rue Saint Roch. Subitement sans m’en rendre compte je me laissais séduire par ce vernis superficiel de la vie parisienne. Un midi alors que j’avais pris place dans un de ces nombreux fast Food, j’aperçus une secrétaire de la FNCA qui cherchait une place encore disponible. Je lui fis un signer pour lui proposer de s’installer à ma table. C’est ainsi que je faisais la connaissance de Danièle COQUET, celle qui allait devenir ma future femme : la mère de mon fils.
N’aimant pas déjeuner seul, c’est ainsi que l’on prit l’habitude de déjeuner ensemble. Danièle m’apprit que son fiancé venait de la quitter alors que ses fiançailles avaient été fêtées le Noël précédent. De mon côté cette confidence, m’incita à en faire autant. Je lui décrivais mon arrivée solitaire à Argenteuil, la nostalgie que Mireille et moi ressentions pour la Provence. J’avais besoin de parler de dialoguer depuis que Mireille s’était plainte aux services sociaux de la DASS. Danièle me prêtait cette oreille attentive, qui fit que je lui narrais l’époque des‘ Glamorous Fifties’ qui avait tant marquée mon enfance. ’ Les Dynasties de Louis Le Magnifique’ qui avaient initialisées le processus de la lancinante répétition. Je lui décrivais aussi ‘La Nuit de Shéhérazade’ à la place des Cardeurs à Aix en Provence qui avait donné naissance à cette relation étrange avec Mireille. Ainsi à mon insu je réitérais à mon tour ce que j’avais si souvent dénoncé. Le processus infernal était désormais enclenché.
Parallèlement, la vie familiale devenait de plus en plus lourde, chacun de nous se repliait sur lui-même. Nos différences culturelles et sociales ressurgirent avec force mettant gravement en danger la pérennité de notre couple. Pour tenter de détendre l’atmosphère, il fut convenu que Mireille aille passer une dizaine de jours à Malcros près de La Chaise Dieu le village natal de sa mère qui était revenue de son séjour algérien. Cela faisait déjà plus de quinze mois que nous n’avions pu prendre des vacances, ce séjour en Auvergne ne pouvait qu’être bénéfique pour Mireille et les enfants.
Je me retrouvais en ce printemps 1972, de nouveau seul dans cet appartement d’Alessandria Platz. Le silence oppressant de l’appartement se fit immédiatement ressentir. Pourtant les conditions étaient radicalement différentes de celles rencontrées l’année précédente. Mais cette solitude était une véritable torture qui m’angoissait terriblement. Je n’avais pas conscience que j’avais cette fragilité affective due à l’abandon de ma mère qui avait quitté la France dès 1947 pour la perfide Albion. Cette blessure profonde qui était la source de ce supplice de ‘Sisyphe’. Mais aucun membre de ma famille était là pour m’aider à comprendre cette terrible souffrance qu’un jour Ellico avait fait révéler sur le lac glacé à Curbans lors de l’hiver 1957 : ‘La boîte de Pandore’.
Pourtant, je revois encore aujourd’hui Mireille du côté du Roi René à Aix en Provence un soir d’hiver 1966 me disant : ‘je ne veux pas que je sois un obstacle pour tes études’. C’était aussi cela Mireille ce côté ‘Tennessee’ qui m’avait plu et tant attendri. Mais notre couple c’était aussi une sorte de ‘Solitude en commun ‘ dont les droites restaient indéfiniment en parallèle. ‘Astres Oh Désastres’ pour plagier ce scientifique hors du commun qu’est ce canadien Hubert Reeves, célèbre jésuite qui fit ses études au collège Jean de Brébeuf pour épouser la carrière fantastique d’astrophysicien auteur du concept de la ‘Pyramide de la complexité’. C’est bien cette complexité de l’âme humaine dont Mireille et moi souffrions. Cette souffrance qui avait été la base de notre séduction respective allait bientôt nous jeter dans le chaos.
Les fêtes de l’Ascension approchant Lucchi m’avait proposé que je puisse à cette occasion faire le pont. Je saisissais de cette opportunité pour me rendre à Tallard et revoir ‘Louis Le Magnifique’ que je n’avais plus revu depuis deux ans. Quelque peu désemparé par la situation affective dans laquelle je me débattais, je proposais à Danièle de m’accompagner pour ce long week end dans les Alpes. On fit la route de nuit, ce qui nous permettait de gagner une journée.
Ce voyage funeste, mit fin à l’union avec Mireille. L’irréparable venait d’être franchi. Dans les semaines qui suivirent on se sépara. Un matin de juin 1972 je quittais définitivement le Val D’Argenteuil qui fut le théâtre de notre naufrage. La tragédie tant redoutée venait de se réaliser. Je sombrais à mon tour dans le tourbillon de la vie. Le chaos venait durablement s’installer. Mon désir d’élever nos enfants dans une famille se volatilisait. Ce que jadis j’avais enduré je le faisais, à mon tour, cruellement subir à Karine et myriam. C’était maintenant : ‘Apocalypse Now’.

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