lundi 13 octobre 2008

La Dynastie de L'Ephémère : L'Agonie





"Maman en Juin 1947 en bas de la Canebière, elle a tout juste 22 ans"












Mon retour à Marseille dès le début des années cinquante, m'avait permis de retrouver chaque été Maman. L'année 1955 marqua le début d'une lente agonie qui perdura durant plusieurs décennies.






Fugues en Mineur:

L'année 1955 s'annonçait morne et sans relief. Rien ne laissait présager que j'étais à la veille de bouleversements majeurs. Un après midi, alors que j'étais en classe, on vint me chercher dans ma classe de septième.'L'Entreprenant' m'attendait au parloir. Sans me donner d'explications sur les motifs de sa venue, on prit le chemin du retour. Alors que nous étions arrivés à l'angle de la rue Duguesclin et de la rue Thiers, il m'annonça que mon grand père maternel venait de décéder. Je ne mesurais pas la gravité de l'évènement car cela s' accompagnait de la venue de Maman. Je voyais seulement le fait que le lendemain, elle serait là. Je prenais conscience pourtant que les évènements s'accéléraient. Dans mon esprit d'enfant j'avais décidé de me rebeller contre mes grands parents et plus particulièrement contre 'L'entreprenant' qui manifestait une franche hostilité à l'égard de ma mère et de mon père. Il taxait Maman de 'cinglée' et accusait Papa 'de travailler du chapeau'. C'était devenu insupportable, seule la rébellion pouvait m'aider à quitter ce quotidien qui était devenu un enfer. Pour ce faire, je quittais de façon intempestive le domicile le soir à la tombée de la nuit. J'errai ainsi plusieurs heures dans les rues avoisinantes. J'allais souvent à la Plaine et j'empruntais le boulevard Chave. Par prudence, j'évitais de m'aventurer dans des rues que je ne connaissais pas. Je voulais par ces agissements attirer l'attention des adultes pour que Maman puisse m'emmener avec elle à Londres. Je rentrais tardivement vers 9 ou 10 heures du soir. Sur la table de la véranda les couverts étaient enlevés, il ne restait que le mien qui était là à m'attendre. Aucun reproche n'était formulé à mon encontre , on se bornait à me faire souper et je rejoignais ma chambre du deuxième étage. Cette situation perdura ainsi quelques semaines. Puis ce fut une avalanche d'examens médicaux commandités par 'Louis Le Magnifique'. Tout le monde estimait que j'avais perdu la raison. Seul Jacques Caïn, son camarade de faculté ,qui était psychiatre lui confia que j'avais tous mes esprits. Ces comportements erratiques étaient seulement la manifestation d'une souffrance affective. C'est dans ce contexte que le 12 Février 'L'aquarelliste' frappé d'une pneumonie nous quittait à l'âge de 77 ans. Maman rejoignit la ville phocéenne pour inhumer son père au cimetière Saint Pierre dans le caveau familial Gouirand-Fouque. Elle était venue avec Nasim un jeune étudiant en médecine, originaire de Karachi au Pakistan. A mon plus grand bonheur, j'allais passer quelques jours avec eux rue Jean de Bernady. Ces instants de bonheur furent de courte durée. Un soir de Février alors que la nuit commençait à tomber on prit le chemin de la rue Thiers. Nasim m'avait juché sur ses larges épaules , il me porta ainsi jusqu'au Cours Joseph Thierry. Maman lui demanda alors de me mettre à terre pour rejoindre la rue maudite. Ma gaieté s'estompa en quelques secondes. On traversa en toute hâte le cours pour longer la fontaine des Danaïdes, traverser le boulevard de la Libération, dépasser les escaliers des Réformés pour atteindre le trottoir de la rue Thiers. La nuit était tombée, à chaque pas je sentais mon coeur suffoquer. La panique m'envahissait et me paralysait, je n'arrivais pas à lui hurler mon chagrin. Je réalisais avec désespoir que j'étais en train de perdre Maman pour toujours. Les idées se bousculaient dans ma tête, il fallait qu'elle comprenne que je devais rester avec elle. Déjà la lourde porte sombre du 13 Rue Adolphe Thiers se dressait imposante et terrifiante. Maman sonna, Mémé nous ouvrit, on entra dans le hall sombre. Sans prononcer un mot, ni embrasser ma grand mère, je me précipitais au crochet du mur de la cuisine où était accroché le martinet que 'L'entreprenant' utilisait pour me fouetter lorsque je faisais des erreurs de calcul. Ce fouet que je devais demander au droguiste de la rue Saint Savournin : un certain Bardizbanian. Je pris le fouet maudit et avec désespoir je le brandissais contre la fourrure épaisse de sa veste. J'avais un chagrin terrible en accomplissant ce geste désespéré. Je voulais seulement lui dire 'Tu vois avec qui tu me laisses, emmènes moi!'. Maman ne comprenait pas ce qui se passait, manifestement elle était dépassée par la tournure que prenaient les évènements. C'est ma grand mère qui réalisa la gravité de la situation. Pour éviter des éclaircissements que ma mère aurait été en droit d'exiger, Mémé la pria de s'en aller et qu'elle allait me calmer. C'est à cet instant que tout s'est joué à mon détriment.Maman repartie entièrement désemparée sans pouvoir m'embrasser . C'est dans cet état de choc psychologique qu'elle rejoignit Nasim qui l'attendait 'au chapitre'.
Lors d'une dernière fugue je quittais la rue Thiers en après midi pour effectuer une dernière promenade sur la Canebière. C'était ma façon de faire mes adieux à Marseille. Alors que je traversai 'les clous' au carrefour de Garibaldi, je croisais un camarade de ma classe un certain Richard Salamagnou dont je pu retrouver la trace en feuilletant l'annuaire en Août 2004. Ce fut mon dernier contact avec mon école primaire du Sacré Coeur que j'avais fréquentée de Novembre 1950 à Février 1955.

Toulouse :
'Louis Le Magnifique' vint me chercher,en fin de mois, pour me placer à l'institut polytechnique dirigé par un certain Docteur Chaurand. Mon grand Père avait tenu à nous accompagner jusqu'à Toulouse où se trouvait cet établissement. On fit la route de nuit. Alors que 'L'Entreprenant' et mon père se trouvaient à l'avant du véhicule, on m'installa un lit sur la banquette arrière de la 203. C'était étrange, mon animosité vis à vis de 'L'Entreprenant' s'était dissipée. On arriva le lendemain matin à destination. L'Institut du Docteur Chaurand se trouvait dans la banlieue ouest de la ville au sein d'un grand parc . Le pavillon réservé aux enfants de mon âge s'intitulait: Mirail du Bas. Mon père fut reçu longuement par ce docteur. Je devais séjourner en ces lieux pour une période de quatre à cinq mois mais rien de précis ne me fut dit. Je n'aimais pas cet endroit, et j'avais le sentiment que l'on cherchait, par tous les moyens, à se débarrasser de moi en me plaçant si loin dans un pays que je ne connaissais pas. C'était une sorte d'exil en quelque sorte. Vers quatre heure de l'après midi , on me m'accompagna à Mirail du Bas. Le bâtiment était désert à cette heure de la journée. Je pris possession de ma chambre qui donnait sur une sorte de rotonde circulaire où toutes les chambres débouchaient. Les chambres étaient dépourvues de portes, permettant une visualisation de l'ensemble des lits à partir d'un bloc de contrôle où dormait l'éducateur de service. J'avais l'impression de me retrouver dans une sorte de prison pour assumer un crime dont je n'avais pas connaissance. C'était incompréhensible. Je n'ai qu'un vague souvenir de mon séjour à Mirail du Bas. Nous étions tout au plus une vingtaine d'enfants âgés de 10 à 12 ans , nous étions accompagnés par trois éducateurs: Maggy, Thérèse et un certain Gérard. Durant les journées d'école, nous avions seulement classe en matinée. L'après midi était réservé aux jeux ou à des promenades pédestres. Les cours que l'on nous dispensait ne correspondaient pas au niveau de la septième et souvent j'avais l'impression de perdre mon temps. Je restais souvent seul , parfois je m'aventurais dans le parc pour atteindre un pavillon voisin: 'Cèdre Haut' qui accueillait des garçons plus âgés et qui devaient avoir 14 ou 15 ans. Mais leurs jeux me semblaient cruels. Ils me faisaient peur, alors je fuyais à toute jambe pour rejoindre mon pavillon. Quelques mois plus tard par une matinée de printemps alors que j'étais allé flâner dans un bosquet qui longeait la route, je vis la voiture de mon père qui se trouvait en stationnement. Un monsieur était assis à l'avant du véhicule. Papa n'était pas là . Mon coeur battait la chamade. On venait me délivrer. Mais je n'y croyais pas vraiment. Alors me cachant derrière les arbustes j'approchais du petit muret à quatre pattes et je lançais de petits cailloux sur le capot de la 203. Je repartis sans être vu. Je rejoignis Mirail du Bas sans toucher mot à personne. J'étais impatient pourtant qu'on vienne me chercher. Alors que je commençais à ne plus y croire, un éducateur vint me dire que je devais aller au bureau de Docteur Chaurand. L'heure de la délivrance venait de sonner. Un quart d'heure plus tard je me retrouvais sur le siège arrière de la voiture.Papa était venu de Tallard accompagné d'un de ses patients qui avait de la famille du côté de Dax. Durant une semaine cette petite ville au pied de la chaîne pyrénéenne servit de base de départ pour des ballades le long des torrents. 'Louis Le Magnifique ' passait ainsi la journée à pécher au lancer avec ce monsieur dont le nom m'a échappé.Une fois on se rendit en Andorre d'où on ramena du nougat au miel. Lors de son départ, il m'annonça que Maman venait me chercher fin juin pour passer les deux mois de vacances d'été à Marseille. Ce fut la meilleure nouvelle qu'il pouvait me donner en me rendant visite. J'avais encore un bon mois à patienter. Mais curieusement, le temps accéléra subitement. Les semaines s'écoulèrent à vive allure et le jour tant attendu arriva enfin. Maman était là! Pour la première fois de ma vie je pris le train. On voyagea en première. Il y avait de la dentelle sur les reposes têtes, le compartiment était d'un luxe auquel je n'étais pas habitué. Malgré la longueur du trajet Toulouse-Marseille, je ne vis pas s'écouler le temps. Je retrouvais Maman c'était là l'essentiel. Le reste importait si peu. Ce retour inespéré dans la cité Phocéenne fut un véritable émerveillement. Ces deux mois passés avec Maman rue Jean de Bernady furent scandés comme par le passé par nos ballades aux Catalans et nos expéditions à la Capelette pour y aller voir Tantine. Mais la spirale du temps s'était brutalement accélérée atteignant des allures vertigineuses. Grand Papa n'était plus là. Je ne réalisais pas encore que c'était les derniers instants de ma vie passés auprès de Maman. Le règne de ' La Dynastie de L'éphémère' allait bientôt s'engloutir dans la nuit du temps. La fin Août arriva marquant notre dernière expédition à la Capelette, et notre dernier bus pour les Catalans. En cette fin Août 1955, je ne réalisais pas que les 'Glamorous Fifties' étaient achevées à jamais. Quarante sept ans plus tard en Juillet 2002, je franchissais de nouveau le portail du Sacré Coeur: le petit vestibule avait disparu, les cuisines également.Ce n'était plus le couvent tenu par les religieuses que j'avais connu autrefois. Ce lieu était devenu un centre de réinsertion pour jeunes délinquants. En ce jour d'été 2002 je me retrouvais, par un étrange retournement du temps à fouler le sol de cette cour intérieure. Le manège avait disparu, seul le portillon métallique de couleur bleu pâle était toujours présent à lancer un défi au temps avec les platanes de mon enfance projetant une ombre plus importante. Les volets mi clos de Tantine avaient conservé la même teinte vert pâle.Alors je ressentis un vide oppressant m'envahir et pourtant il y avait en moi, cette présence indéfinissable d'autrefois. Rien n'avait changé: l'ambiance, les senteurs des arbres, les jeux d'ombres et lumières. Seule surgissait une image floue de Tantine et Maman. Ce fut également ce dernier été que Maman m'emmena au Cinéma Le Français pour y voir ' Les Visiteurs du soir' . L'histoire d'un couple de troubadours qui furent pétrifiés pour l'éternité par Lucifer pour avoir rompu le pacte. Mais dont les coeurs continuent de battre encore....

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