dimanche 28 septembre 2008

La Dynastie de L'Ephémère: Vicissitudes




'La belle devanture en marbre de Chez Bébé a disparue pour donner place à une triste Pantomine. Au deuxième étage, les volets mi-clos où se trouvaient nos chambres'














Rue Thiers:


En ce mois d'octobre 1950 je me retrouvais inscrit à l'école du Sacré Coeur de la rue Barthélémy. Cette rue parallèle à laquelle on accède en empruntant la rue Duguesclin ou la rue du Loisir. En moins de soixante ans le quartier s'est entièrement métamorphosé. A l'époque tous les commerces étaient ouverts et les tags ne fleurissaient pas, comme aujourd'hui, sur les façades. L'hyper centre fut abandonné par les marseillais qui fuirent la ville dans les années seventies: âge d'or de la croissance économique. Le règne des grandes surfaces et de l'énergie bon marché sonna le glas de ce quartier qui allait de Noailles au cours Julien. Ma scolarisation s'étant effectuée après la rentrée scolaire, je fus perçu comme un étranger qui venait perturber l'ordre établi. J'étais inscrit au cours élémentaire de première année qu'on dénommait à l'époque la onzième. Un religieux m'accompagna pour me présenter à la maîtresse qui ne prit guère attention à ma venue et me plaça au fond de la classe dans la rangée se trouvant dans l'axe de son bureau. De cet endroit, je me trouvais près de la fenêtre d'où j'apercevais les grands platanes de notre cour de récréation. Inscrit sous mon patronyme de naissance: 'D.B', je fus la risée de mes camarades qui me mirent à l'écart. Lors des récréations, je restais isolé. Rares étaient ceux qui osaient m'approcher pour sympathiser. Je ne comprenais pas cette attitude à mon égard. Un peu honteux, je taisais à mes grands parents cette situation qui était dû à mon nom. Ainsi cette année scolaire 1950-51 fut une année éprouvante. Je sentais confusément que mon père n'avait rien fait pour me garder auprès de lui à Tallard, me privant ainsi de mon frère Marc avec lequel j'aurais aimé aller avec lui à l'école et partager les jeux.Enfin, je ressentais cette absence terrible de Maman qui était partie là bas en Angleterre. Tous les ingrédients pour déclencher une dépression étaient réunis, mais personne ne se rendit compte de rien. Ainsi durant cinq longues années, je me réfugiais au fond du jardin. C'était mon territoire où je pouvais donner libre cours à mon chagrin. Assis sur une marche de la maisonnette, comme il en existe à Marseille, j'étais en cet endroit du jardin à l'abri des regards. Je laissais alors couler des larmes brûlantes sur mes joues d'enfant. Les soirs d'été, je regardais les hirondelles tournoyer dans le ciel en écoutant leurs cris stridents déchirer l'air. D'autrefois, je montais sur mon cheval de bois monté sur roulettes que je faisais avancer en lui faisant hocher sa tête articulée. Combien de tours furent ainsi accomplis? Difficile à apprécier, mais cela faisait le bonheur de ma grand mère de me voir jouer dans le jardin au lieu de venir 'dans ses jupes'. Pauvre Mémé qui prenait tant de soin de moi. C'est elle qui confectionnait mes culottes courtes, qui me préparait des pommes au four et des gâteaux de riz dont j'étais si friand.C'est encore elle qui m'essuyait avec un gant d'eau chaude, lorsque encore trop petit, j'allais aux toilettes pour la grande commission. Tous ces gestes étaient la marque de son affection. 'L'Entreprenant' quant à lui s'occupait du suivi de ma scolarité. C'est lui qui m'apprit les additions et les soustractions.Il en fut de même pour les tables de multiplication que je devais réciter par coeur lorsqu'il m'accompagnait au Sacré Coeur. Il m'apprit également à vérifier les résultats de ces opérations en m'enseignant ' la preuve par neuf'. Parfois, il m'arrivait de faire une erreur, la sanction tombait immanquablement: 'j'étais privé de dessert'. A cette époque c'était sans commentaire, il fallait assumer la punition sans rechigner. Heureusement que Mémé était là pour adoucir la sentence en m'apportant en cachette mon dessert dès que mon grand père s'était éloigné. A contrario, 'L'Entreprenant' savait reconnaître mes efforts. Ainsi lorsque je donnais de bonnes réponses après un long interrogatoire la récompense pouvait aller d'une séance de cinéma à Cineac qui se trouvait à l'angle du boulevard Garibaldi et de la Canebière, ou aller prendre une glace sous les platanes au grand café du chapitre. En mon for intérieur, bien que j'aimais aller au cinéma, je préférais la deuxième récompense car cela me plaçait sur le chemin qui menait chez Maman. Alors assis près de mon grand père dans un fauteuil en rotin sous les platanes illuminés par les éclairages du soir, je prenais une cassate tutti fruiti et je regardais couler la fontaine des Danaïdes. Je pensais à Maman évoquant la légende selon laquelle ces déesses furent condamnées pour l'éternité à remplir des seaux sans fond. Dans mon esprit d'enfant j'imaginais que le gel durant l'hiver pouvait alors déjouer cette cruelle condamnation prononcée par les Dieux de L'olympe.


Les Marchés de la Plaine:


'Le marché de la Plaine en 1919, et pendant ce temps là du côté de Mèze..'




Le jeudi était à l'époque la journée de repos scolaire du milieu de semaine. C'était pour Mémé et moi l'occasion de nous rendre au marché de la plaine. Chacun muni de son caban en moleskine nous remontions la rue Thiers pour rejoindre la rue Curiol accédant à ce marché si typique de la ville Phocéenne. A l'époque la place dans sa partie centrale était bordée d'une double rangée de platanes magnifiques dépassant la hauteur des immeubles. En son centre il n'y avait qu'une butte où se trouvaient quatre magnifiques magnolias centenaires qui ont survécu. Ce vaste espace permettait aux enfants d'y faire du sulky. C'était un petit cheval en fer monté sur trois roues avec un siège arrière comprenant un système à pédales pour le faire avancer. Parfois l'été, Maman m'y accompagnait pour que je puisse en faire. Aujourd'hui les sulkys ont disparus, tout comme le théâtre de Guignol qui se trouvait à l'emplacement actuel de l'entrée du parking souterrain. En ces débuts des années cinquante, Mémé et moi entreprenions alors de faire le marché qui consistait à effectuer un long tour de place. Je me souviens encore du prix des laitues qui étaient vendues dix francs. Cela correspondait à dix centimes du nouveau franc institué en 1958 par Antoine Pinay alors Ministre des finances du Général De Gaulle. Parfois nous faisions un crochet par la rue Saint Michel pour aller acheter un camembert dont ma grand mère raffolait. A l'emplacement de la poste actuelle, se trouvait un cinéma. Une affiche géante faisait la promotion de 'Sissi' qui fut le premier film tourné par Romy Schneider. Notre périple s'achevait en empruntant la rue Saint Savournin puis la rue du Loisir pour rejoindre la rue Thiers. Souvent nous faisions une halte au 49, pour prendre rendez vous, chez son amie Olga qui tenait un salon de coiffure. Puis nous allions chez le fabriquant de pâtes fraîches pour y commander des raviolis qu'elle faisait cuire dans le four de la cuisinière à charbon. C'était au 47 rue Thiers. La devanture était en carrelage marron et jaune. Des traces de cette vieille devanture apparaissaient encore en 2004. Depuis tout à disparu sous le crépi d'une enseigne de restaurant. Au 49, le rideau métallique d'Olga est définitivement baissé depuis longtemps. La droguerie de Monsieur Jemmes qui se trouvait juste après Chez Bébé a laissé la place à un local dont les activités changent fréquemment. Seule subsiste la devanture de Monsieur Imbert en contre bas de la rue du côté pair. Mais là encore l'activité a dû cesser depuis plusieurs années déjà.




Dans les rues de Marseille:







'Sur La Canebière à la hauteur de la rue Vincent Scotto,à l'angle du bar Le Sans Pareil, c'était en 1952'





Le dimanche était le seul jour de repos que s'octroyaient mes grands parents. Souvent l'après midi,'L'entreprenant' m'emmenait en promenade pour voir les prix que pratiquaient ses concurrents. Nous descendions La Canebière avec ses magasins aux vitrines luxuriantes qui ont été remplacés pour la plupart par des Kebabs à la propreté douteuse. Nous passions devant le Grand Hotel des Noailles d'où l'on pouvait y voir sortir des princesses Laotiennes ou Cambodgiennes; lesquelles étaient vêtues de longues robes en soie aux couleurs éclatantes: c'était encore le temps de l'Empire. De cette avenue qui fut la fierté des Marseillais qu'en reste-t-il ? Quelques rares commerces ont survécu mais leur faste d'antan s'est étiolé. Plauchud le pâtissier à la devanture bleu pâle est aujourd'hui crème , La Pharmacie Michel , Maupetit le libraire, Taccusel avec ses livres de collection n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut. Canebière, ils t'ont laissé tombé comme aurait pût le chanter Michel Sardou. Aujourd'hui, le politique ose affirmer que l'avenue est réhabilitée. On s'est cantonné à ouvrir quelques banques dans la partie inférieure de l'artère, mais dont les rideaux sont baissés dès 16h30. Aujourd'hui l'Hotel des Noailles est transformé en un commissariat central de Police, mais à quelques dizaines de mètres des clochards viennent envahir les trottoirs. Le tramway devait redonner du look à l'avenue. La station Garibaldi est déjà bien dégradée après quelques mois de sa mise en service. La signalétique des feux de régulation du tram est régulièrement défoncée par les camions de livraison. Que faut il penser de tout cela? Mais reprenons, après ce détour critique, cette promenade dominicale qui nous menait aux concurrents de Chez Bébé. Ces derniers se trouvaient dans un quadrilatère délimité par La Canebière, les rues de Rome-Paradis et la place Estrangin. Souvent nous allions voir la vitrine de son principal concurrent:'Bébé Confort'. Mon grand père prenait alors son calepin pour relever les prix, je l'entendais bougonner: 'Comment font-t-ils?'. Je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. Souvent je ressentais la fatigue envahir mes petites jambes, et la rue Thiers me paraissait bien loin. Mais il fallait encore attendre. D'autres fois nous nous rendions au centre bourse, à l'époque c'était un vaste terrain vague où le cirque Pinder venait dresser son chapiteau. Nous regardions les éléphants laissés en liberté à l'entrée du cirque. On voyait également les cages des animaux sauvages: Lions, Tigres et Panthères. Cela me rappelait le zoo avec 'Poupoule' du Palais Longchamp que j'allais visiter l'été avec Maman. Une fameuse ballade fut un jour entreprise pour voir l'immeuble que Le Corbusier venait de réaliser. Pour atteindre le Boulevard Michelet , il fallait compter une bonne heure de marche. Vers 16H30 on arriva devant la maison du 'Fada'. La construction était gigantesque avec sur ses énormes piliers en béton. L'absence de végétation à l'époque amplifiait cette impression. Les couleurs criardes: bleu, rouge, jaune sur certaines parties de la façade donnaient un air étrange, presque irréel. C'était en hiver, le temps était gris et l'air vif. Déçus de ce qu'on venait de voir, le retour fut long et pénible, ce soir là je ne mis guère de temps à sombrer dans les bras de Morphée. D'autres fois nous allions déposer des prospectus dans les boites aux lettres des immeubles du quartier.Je revois encore le dépliant de couleur rose pâle avec sa bordure en forme de liseré. Mais cela coûtait cher, afin d'éviter toute distribution inutile; mon grand père se rendait à la Mairie d'arrondissement pour y faire le relevé des naissances. Sacré Pépé , c'était une véritable opération marketing pour l'époque. En ces débuts des années cinquante, la publicité n'avait pas encore fait son entrée fracassante dans notre quotidien. Je ne pouvais réaliser la réflexion à laquelle 'L'Entreprenant' s'était livré. C'est bien plus tard, lorsque je fus étudiant en Sciences Economiques à Aix en Provence que je mesurais la démarche de mon grand père. C'était celle d'un entreprenant. Dans le courant du deuxième trimestre 2006, j'appris également par Jean Fouque le cousin germain de ma mère, qu'il fut son imprimeur à l'époque où il était encore installé rue Chateauredon avant de rejoindre le cours Julien. Une autre grande expédition marqua ces dimanches passés avec 'L'Entreprenant'. Souvent du jardin de la rue Thiers j'entendais le bruit sourd des sirènes en provenance des cargos entrant dans le port de la Joliette: Hooum, Hooum, Hooum. Cela m'intriguait, et malgré les explications de Mémé , je restais perplexe. Il fut décidé que nous irions avec Pépé voir, à l'Estaque, ces grands navires marchands. Un dimanche après midi nous prîmes le tramway, après une demi heure de transport on arriva à destination.En déambulant sur les quais de débarquement, je vis pour la première fois des grues gigantesques qui se déplaçaient sur rail. C'était pharaonique, elles dépassaient la hauteur d'un immeuble de quatre étages. C'était l'ère du grand commerce avec l'Indochine, les Protectorats de l'afrique du nord et des colonies D'Afrique Occidentale et Équatoriale Française:L'AOF et L'AEF. C'était du temps de Marseille la Grande, Marseille qui par sa grandeur frappa mon imagination pour toujours. Je vécu son déclin avec amertume, ainsi en 1970 alors que j'achevais mes études, je dus quitter cette terre provençale qui m'avait vu naître. Marseille tel le phénix semble aujourd'hui renaître après un endormissement de plus de cinquante ans dans lequel elle avait sombré. Mais Marseille objet de ma peine et de mon chagrin, si j'assiste au soir de ma vie à ta renaissance , tu as changé de nature et de culture. Le souvenir de Pagnol et de Fernandel est décidément une époque révolue.

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